Sophie Calle à la galerie Emmanuel Perrotin
Ici, sur les murs de la galerie Emmanuel Perrotin, l’artiste s’efface au profit de deux séries presque trop neutres où l’absence de ses histoires personnelles crée le manque. Un geste qui peut éveiller une certaine frustration. Voir la mer, réalisée récemment à Istanbul est un ensemble de sept vidéos dont la direction artistique revient à Caroline Champetier, chef opérateur, notamment, de Jean-Luc Godard. Dans une mise en scène très dépouillée et à chaque fois identique, sa caméra filme des Stambouliotes qui n’ont jamais vu la mer.
Dos à nous, dans un calme religieux, ils scrutent l’horizon pour la première fois puis se retournent pendant quelques minutes, laissant échapper une larme, fermant les yeux, toujours en silence, selon l’exercice imposé. L’émotion est vive, certes, mais l’œuvre déçoit. Trop systématique, le dispositif étouffe malheureusement le sujet et paraît même parfois extrêmement démonstratif. Certains beaux moments atténuent cet effet figé et posé mais décliné à l’infini, l’homme face à la mer se noie un peu.
La Dernière Image quant à elle est une série forte et sensible où Sophie Calle nous est
Son œuvre et sa vie se sont très souvent entremêlées, fondues l’une dans l’autre, jusqu’à une dissolution en pointillés de la biographie de Sophie Calle dans sa création.
rendue, s’il est permis de le penser ainsi. « Je suis allée à Istanbul, explique l’artiste, j’ai rencontré des aveugles qui, pour la plupart, avaient subitement perdu la vue. Je leur ai demandé de me décrire ce qu’ils avaient vu pour la dernière fois. » Renouant avec son travail sur la cécité (Les Aveugles, 1986), cet ensemble de textes et de photographies touche de la plus belle façon. Sans misérabilisme, avec la pudeur, l’intelligence et la simplicité qu’on lui connaît, l’artiste affronte la question effrayante du réel entamé, de la disparition des images visibles. Contagieuse, l’œuvre fonctionne presque comme une menace.
Qu’arriverait-il si l’on perdait la vue à notre tour ? Sans réponse, face au vertige, le néant jaillit, monstre terrifiant qui écrase toute image.