
Panorama critique des expositions
Regards critiques, impressions sensibles et analyses ; retrouvez nos instantanés d’expositions au sein d’un panorama évolutif vous invitant à découvrir les artistes et les lieux qui rythment la scène artistique.
Bluebird — Dvir Gallery
Dvir Gallery présente Bluebird, une exposition d’une splendide acuité, où les résonances entre œuvres construisent le fil fragile d’une vie empreinte de sa propre fin. Comme une réactivation de la révélation, annonçant dans la vie l’imminence de la mort, Bluebird envisage un contrepied enjoignant à lire dans la destruction la réévaluation de la vie à suivre et d’une liberté à chérir. Jouant de la contrition, de l’accumulation et de l’art de s’affranchir de la grille, les œuvres choisies dialoguent avec une insolente efficacité et structurent dans l’espace les perspectives nécessaires au maintien d’un horizon, à défaut d’un espoir certain, dans les affres mortifères d’une réalité qui, ici, n’est jamais oubliée. Au contraire, c’est sa modulation, son effroyable distorsion qui génère — de même que la silhouette d’un hélicoptère vu de la terre mène à l’abstraction conceptuelle (ou toute symbolique de croix) — la perception de l’impossible. Elle forge cet oiseau bleu aussi fantastique que terriblement nécessaire. G.B. En savoir plus
Nelson Bourrec Carter — Galerie Alain Gutharc
Nelson Bourrec Carter orchestre à la Galerie Gutharc une méditation plastique autour du pouvoir des images, renversant leur temporalité pour réinventer, sous notre regard, leur propre histoire. Intimité forcément collective d’une mémoire partagée avec le voyage au sein d’une propriété ayant servi de décor au film Jumanji, fantasme mythologique communautaire d’une histoire blessée, reddition forcée de notre présent aux icônes de notre passé, les images de Bourrec Carter flottent comme autant de reflets de souvenirs réinventés, conjuguant romantisme et nécessité de s’armer face à la portée politique des structures de nos imaginaires. L.D. En savoir plus
Le Livre. Objet entre mémoire et symbole — Tornabuoni Art
Chez Tornabuoni Art, le livre devient motif d’œuvres bouleversantes qui l’embrassent, l’étreignent et le magnifient pour en souligner la puissance paradoxale. De l’épreuve du feu à la contrition, en passant par sa fermentation et sa germination, les œuvres de Anselm Kiefer, Chen Zhen, Michelangelo Pistoletto, Pascal Convert, Chiara Dynys (pour n’en citer que quelques-uns) participent d’une ode intense à sa réappropriation plastique. L’ensemble, évitant difficilement une sagesse un peu scolaire (mais difficile de faire autrement), n’en demeure pas moins une proposition passionnante et à découvrir. G.B. En savoir plus
Julio Villani — Galerie RX & Slag
Face au torrent continu de mensonges et de désinformations d’un monde secoué par les crises humanitaires et politiques, Julio Villani déploie une abstraction qui impose sa temporalité et affirme avec force sa distanciation poétique. Une résolution artistique qui recadre le regard en imposant un souffle spirituel et universaliste, équilibrant nature, littérature et esthétique dans un langage plastique qui les transcende. La RX Galerie lui offre un écrin exceptionnel. G.B. En savoir plus
Anne Bourse — Galerie Crèvecœur
Sous le signe de la dualité, l’exposition d’Anne Bourse à la Galerie Crèvecœur se donne dans une transparence qui souligne la frontalité de son travail. Jouant de l’approximation comme d’un ornement, de la fioriture du geste comme d’une manière, la fragilité de son œuvre embrasse la radicalité d’une pratique qui détourne les codes autant qu’elle s’en nourrit. Chacune de ses œuvres constitue un vecteur de réflexion passionnant, réinventant la roue d’un monde de l’apparence qu’elle déjoue et rejoue sur la scène ouverte de la galerie. Ici le double n’est pas un reflet, il est l’ombre nécessaire — mouvante, tant les jeux de lumière se parent d’une belle complexité — qui prolonge les structures, instillant dans la matière même ce mouvement éthéré d’une pensée de l’art libre et frondeuse. Une réussite. G.B. En savoir plus : https://galeriecrevecœur.com
Norbert Prangenberg — Galerie Karsten Greve
Troublante et d’une chaleur inattendue, l’œuvre de Norbert Prangenberg se révèle dans la durée, dans les marques incidemment perceptibles de profondeurs, de superpositions que le peintre inflige à la toile et à la matière. Dans l’exposition à la Galerie Karsten Greve, les céramiques, indissociables, peuplent l’espace pour élaborer un paysage sourd de couleurs et d’intensité, où symboles archaïques se confrontent aux formes organiques. Une pratique à la physicalité essentielle qui cache pourtant une attention à la lumière et à la transparence, sensible à la lecture approfondie. Rien d’étonnant alors à ce que ses petits formats, présentés conjointement, fassent jaillir une incandescente vibration. L.D. En savoir plus
Machiko Ogawa — Galerie Frank Elbaz
Entre minutie extrême et brutalisme assumé, les sculptures de Machiko Ogawa, présentées à la Galerie Frank Elbaz, jouent sur l’illusion et la science pour inventer des archipels univers qui excitent l’imaginaire. Dans un rapport miroir à la terre et au ciel, ses créations absorbent et renvoient la lumière tout en portant les stigmates d’un temps que l’on croirait quantifiable. De pièce en pièce, le regard se perd dans une projection en équilibre entre doute, pesanteur du réel et éther des songes. Un étonnant voyage poétique, rivé à un sol peut-être plus vertigineux qu’attendu. L.D. En savoir plus
Emma Stern — Almine Rech Paris
À la galerie Almine Rech Paris, Emma Stern nous prend au piège de rêves de cuir et de métal revisités à l’ère cyber-organique, synthétique et artificialisée d’une société où le corps est lui-même devenu parure. Flirtant avec le plaisir coupable et prisonnière d’un kitsch sans surmoi, cette ode frontale à l’idéal plastique d’un monde qui rêve de grands soirs instagrammables autant qu’il puise dans la normalité son nouvel idéal de l’épique, l’univers d’Emma Stern fait de la sidération sa meilleure arme. G.B.
Arnulf Rainer — Galerie Lelong & Co.
Arnulf Rainer nous prend par les sentiments en offrant une exposition pensée comme une mini-rétrospective permettant de redécouvrir la trajectoire riche et cohérente d’un artiste qui s’est toujours attaché à donner, à travers une peinture expressive, une autre lecture des images. Des fulgurances informelles des années 1950 aux iconiques surpeintures, 70 ans d’invention se succèdent dans un mélange d’excès et de recouvrement. Le secret des maîtres du passé et des fantômes de l’artiste s’y croisent en une danse picturale vibrante et viscérale. Aussi séduisante que capable de nous tenir à distance, son œuvre alterne subtilement les intensités et laisse entrevoir, à travers des autoportraits précieux, sa réflexion directe et radicale sur une peinture-miroir capable d’exaucer le pouvoir d’emprise des images. G.B.
El fantasma de Tennessee — Galerie Marcelle Alix
Intense en couleurs, foudroyante d’émotions, El fantasma de Tennessee à la Galerie Marcelle Alix déploie un carrousel d’œuvres sensibles dont la fibre mélancolique, démultipliée par leur dialogue, renvoie à l’intensité des illusions perdues. Jusqu’à mener peut-être à notre perdition, à l’image de ce troublant désir mimétique d’un palais de narcotrafiquant, copié sur celui du soap Dynasty, devenu ruine surréelle que documente Laura Huertas Millán. La mélancolie, traitée ici comme membre fantôme nous reliant aux spectres d’histoires que rien ne résout, devient l’antichambre d’une réflexion sur l’ambiguïté du concept, caressant la fracture et griffant la nostalgie. Fabuleusement étoffée par le commissariat d’Ana Mendoza Aldana, qui articule sa réflexion plastique à travers une lecture anglée de l’œuvre de Tennessee Williams, l’exposition déploie un vivier de fulgurances, d’interpellations, d’imaginaires protecteurs et de basculements de registres. Si l’horizon ploie sous la surcharge émotionnelle et formelle des œuvres, l’expérience de la profondeur, des altitudes comme des gouffres offre un vertige qui marquera concrètement la mémoire. G.B.
Orhan Pamuk — DOX Prague
Pour les voyageurs, une très belle exposition d’un visiteur intérieur et intarissable, l’écrivain Orhan Pamuk, qui vit sa réflexion à travers le dessin, la peinture et l’assemblage. Prolongée jusqu’en décembre, l’exposition au centre DOX de Prague, sensible et intimiste, étonne par la densité de sa scénographie. Et si la qualité intrinsèque des œuvres reste secondaire, leur réunion parvient à faire naître une myriade d’émotions inattendues. L.D.
Sabine Mirlesse — Andréhn-Schiptjenko, Stockholm
À Stockholm, Sabine Mirlesse présente à la Galerie Andréhn-Schiptjenko une exposition articulée autour d’une installation in situ dans la mer Baltique. Passant en quelque sorte du nom à l’adverbe, elle renverse la notion d’instrument en donnant à voir des objets fonctionnels qui, ainsi érigés, sondent nos propres gestes de mesure, notre appétence à capter, classer, comprendre le monde. G.B.
Robert Irwin — White Cube
La galerie White Cube offre un moment suspendu avec une exposition inattendue de Robert Irwin, artiste majeur rarement montré en France. Pour ce dernier projet conçu de son vivant, l’artiste américain a orchestré une partition feutrée et intimiste, jouant avec les entrées de lumière en musicien du silence. Pas de spectaculaire ici, mais une mise en scène du contexte : comme dans tout son travail, Irwin privilégie la simplicité de l’évidence au bruit manifeste. G.B.
Kate MccGwire — Galerie Les Filles du Calvaire
Chaque œuvre de Kate MccGwire, présentée à la Galerie Les Filles du Calvaire, émane d’un temps long, d’une extrême patience, et nous invite à porter attention aux plumages des oiseaux ainsi qu’aux milieux naturels que nous côtoyons au quotidien. Une attention à cultiver pour développer notre curiosité et prendre soin de ces milieux, essentiels réservoirs d’une biodiversité que les œuvres de l’artiste ne cessent de révéler. Une exposition d’une sensibilité infinie, qui fait de la douceur le moteur d’une relation réinventée à la nature. P.L.
Guillaume Barth — Galerie Jeanne Bucher Jaeger
Une planète née du sel, du ciel et d’un rêve : Elina, de Guillaume Barth, s’élève sur le Salar d’Uyuni et réunit avec une force rare la rigueur plastique de la forme et l’urgence de penser notre lien à la Terre. Sculpture éphémère, mémoire vive, Elina interroge notre capacité à préserver le vivant par l’art, en proposant une variation réussie autour de la sphère et du cercle, inestimable orbite d’apprentissage que l’artiste continue d’arpenter. Une œuvre-signe puissante et fragile, qui illuminait déjà Art Paris Art Fair, à découvrir à la Galerie Jeanne Bucher Jaeger, dont il faut saluer l’engagement pour des projets dépassant largement ses murs. L.D.
Sarah Crowner — Galerie Max Hetzler
On a été littéralement soufflés par l’exposition de Sarah Crowner à la Galerie Max Hetzler : une ode à la matière qui jongle entre chaud et froid pour libérer les intensités plastiques de la couleur. L’ensemble, parfaitement équilibré, confronte des pièces d’une belle richesse accrochées aux cimaises à des formes sculptées dans un accrochage qui renverse la lumière zénithale du lieu. D’une élégance et d’une efficacité indéniables, les œuvres de Tableaux en laine, pierres en bronze élaborent un ensemble convaincant, porté par une simplicité qui fait mouche. L.D.
Hot Topics — La Maréchalerie, Versailles
Exposition passionnante et riche d’apprentissage à La Maréchalerie — Centre d’art contemporain de l’ENSA-V, à Versailles, où le collectif Fragmentin propose une variation sur le réchauffement climatique en jouant sur les seuils de perception. De l’idée à sa traduction, du fait scientifique au tragique, Hot Topics décline avec pertinence les symptômes visibles d’un monde qui se regarde sans vraiment se voir — sauf sous la contrainte. L.D.
Alison Saar — Galerie Lelong & Co.
Bouleversante et capable de nous prendre à rebours, l’exposition de Alison Saar à la Galerie Lelong & Co. est une immersion fascinante au cœur d’une œuvre d’une richesse rare, révélée ici dans toute sa profondeur. Ample, articulée, elle présente de nouvelles pièces où les formes et enjeux alternent, mettant en scène les marques d’une histoire qui, si elle peut brouiller les regards, ne s’efface jamais. Une proposition forte, lucide et sensible.
Symbiosium #2, Centre Wallonie-Bruxelles
L’énergie de l’exposition Symbiosium #2 au Centre Wallonie-Bruxelles, est de celles qui, d’emblée, sont palpables. Imaginée par les commissaires Stéphanie Pécourt, Christopher Yggdre et Andy Rankin, cette exposition ambitieuse interroge la définition même de l’exposition en intégrant le corps du visiteur comme agent perturbateur. Les œuvres de nombreux artistes composent un espace en mouvement où le temps devient variable plastique. Un parcours où l’on s’échappe et se greffe tour à tour, pour mieux appréhender le vertige de notre réalité. G.B.
David Hockney — Fondation Louis Vuitton
Impressions contrastées à la sortie de l’exposition événement David Hockney à la Fondation Vuitton , malheureusement moins ambitieuse qu’annoncée et surtout moins convaincante qu’espérée, quelques années après deux très belles présentations de l’artiste au Centre Pompidou et au musée Granet. Le commissariat laisse s’effriter le propos de 25 années pourtant prolifiques, réduites ici à un autoportrait touchant mais largement incomplet, peu réflexif sur une pratique ni remise en question ni, plus étonnant encore, mise en perspective ou en résonance avec les expérimentations continues de l’artiste tout au long de sa carrière. L’ensemble du parcours, supervisé par l’artiste lui-même, ne laisse aucune place au doute ou à la remise en question, nivelant les différences et plaçant chacun de ses projets sur le même plan. Sans hiérarchie ni critique, c’est l’œuvre elle-même qui semble sombrer dans une inoffensive évidence, transformant la figure de l’artiste, autrefois radicalement avant-gardiste, en une icône consensuelle. Sa peinture, dépouillée de sa matérialité, glisse alors, sous les acclamations générales, vers une forme d’illustration. Un délit d’initiés dont seuls ses proches et les fins connaisseurs de son œuvre pourront se satisfaire, mais qui n’offre qu’un point de vue biaisé sur une démarche qui mériterait d’être confrontée à son audace pour en révéler toute la portée. Seule satisfaction, le grand mur des peintures historiques qui le hantent… G.B.
Rien que la vérité, KADIST Paris
À la galerie Kadist Paris, l’exposition Rien que la vérité interroge finement notre rapport au réel en mêlant engagement, érudition et un décalage constant. Le médium vidéo, au centre du parcours, devient un vecteur de réflexion entre gravité et légèreté. Le choix des œuvres, audacieux, offre un espace de pensée stimulant, où se croisent visions critiques et oniriques. Une proposition dense et brillante portée, entre autres, par Mathieu Kleyebe Abonnenc, Bahar Noorizadeh, Ghita Skali, Mercedes Azpilicueta… Rien que la vérité, oui — mais aussi beaucoup de mouvement, de pensée, et d’émotions. G.B.
Joie collective, Palais de Tokyo
Le Palais de Tokyo déploie, avec Joie collective — Apprendre à flamboyer, une exposition qui, derrière la superbe de son programme et de ses ambitions, se heurte au vide de ses propositions et à la légèreté des démarches de ses créateurs. Son engagement, sans jamais se voir formulé autrement que par l’incantation et les signes de connivence, ne donne jamais prise à l’altérité, et se fond dans un cercle qui réjouit ceux qui le partagent, mais reste hermétique à ceux qui mériteraient de l’entendre… Du spectaculaire qui ne fait spectacle que pour ceux qui le réalisent, les formes d’extériorisation deviennent ici des forces-miroirs, réduites à l’affirmation de soi (ce qui est positif), en délaissant le ralliement aux autres (ce qui est mieux). Las, les rares œuvres appelant à la communauté d’une réflexion et à la collectivisation d’une pensée sont reléguées au second plan et s’étouffent sous les excès ludiques d’autres égos, amenant infailliblement une multitude de contradictions au sein même du parcours… Un nouveau raté pour le Palais, qui ne parvient pas, derrière cette joie qui s’affiche, à cacher le vide qu’elle creuse dans la lecture d’un art contemporain qui ne tient plus par ses œuvres seules et ne vit que par sa communication — et, finalement, de manière plus problématique, son invitation à chacun de vivre sa propre médiatisation comme un acte artistique. G.B.