Joel Kyack — Galerie Praz-Delavallade
Pour sa première exposition personnelle en France, l’artiste américain Joel Kyack investit la galerie Praz-Delavallade et propose, avec Point at the Thing that’s Furthest Away un cocktail délirant et jubilatoire de peinture moderne qui cache, sous sa puissance frontale, une profondeur insoupçonnée.
Il faut reconnaître une fois de plus la qualité de la trouvaille de la galerie qui ose s’aventurer sur les terres libres du Californien qui, sous ses airs de farceur à tendance scatologique assumée, ne cesse d’alimenter ses inventions de points de tension conduisant à repenser les liens de l’humanité moderne à la nature. Son mot d’ordre est clair, « Design a future or fuck it » ; œuvre cyclone, la pratique de Joel Kyack avance en cannibalisant ses trouvailles, issues des rebuts de marché de seconde main. Il n’en faut pas plus pour parler d’un art « à trois mains » qui manipule des créations et autres objets trouvés pour jouir encore de leur confrontation à un monde qui les a abandonnés.
« Joel Kyack — Point at The Thing That’s Furthest Away », Galerie Praz-Delavallade du 23 novembre 2013 au 1 février 2014. En savoir plus Car ici, c’est bien de lutte qu’il s’agit ; sous l’apparente naïveté se dessinent des perspectives, des lignes de fuite obliques qui barrent les tableaux, entre la voiture de sport tape-à-l’œil qui semble narguer le paysan à dos de mule (Inversions Without End Upon Other Men’s Journeys), ou sa fontaine constituée de publicités à la gloire de l’affirmation de soi. S’orchestrent ainsi des oppositions sauvages, des associations monstrueuses qui font de chacune de ses toiles un théâtre grotesque et joyeux. Multipliant les manifestations des corps, cordon ombilical, déjections animales et autres substances pour le moins douteuses, Joel Kyack joue des matières, des espaces, rapiéçant grossièrement ses toiles en cas de besoin, pour composer une partition oscillant entre gravité et blague potache, à l’image de son détournement de l’affiche du film Fast & Furious pour finalement ancrer son centre de gravité dans la tension terrible qui existe en leur milieu. Cette tension, c’est celle du sens, ou de ce que l’humanité en a fait, le déplaçant à l’envi, auto justifiant sa propre obscénité du pouvoir sur une nature qui continue de le dépasser.Finalement, ce qui « choque » véritablement ici, c’est l’équilibre des compositions picturales d’un artiste plus habitué à la performance et à l’installation, le poids des symboles se répond et les cadres collés à la toile brisent les perspectives en y ajoutant leur charge, dessinant les contours d’une pesanteur singulière qui fait toute la cohérence du propos. Alors, étrangement, derrière la liberté totale semble poindre une forme de retenue, pareille à « une ligne claire » qui leur donne toute leur singularité, faisant émerger des éléments plantés à même la toile une perspective qui trahit son amour de la vie des objets, l’amour qu’il porte à ces rebuts qu’il ne souille que pour les réintégrer à son propre mouvement.