Berdaguer & Péjus et Olivier Peyricot — Galerie Mercier & Associés
Peut-on représenter l’utopie par la forme ? C’est à cette question que travaillent pour cette exposition présentée à la galerie Mercier & Associés jusqu’au 22 avril Berdaguer & Pejus, artistes en duo, et Olivier Peyricot designer en solo.
Ce dont il s’agit ici, c’est d’utopie au sens politique et premier du terme, au sens de la « Politeia » de la démocratie athénienne, définissant ce qui constitue la structure et les modes de fonctionnement du groupe social, de la société. Et dans cette optique, la question de la forme est reliée au collectif, autant qu’aux individualités et/ou multiplicités. Elle interroge alors, tous les domaines d’une société, la nôtre. Et plus largement, notre civilité ou « Politikos », c’est à dire le cadre général dans lequel notre société aujourd’hui est organisée et comment elle se développe.
Pour ce faire, l’ensemble des pièces présentées en tant qu’hypothèses réactivent un imaginaire social en mouvement, ouvert, toujours à redéfinir et non figé. Ces pièces portent dans leur conception même, un regard critique sur le monde contemporain. À travers le champs des objets, elles remettent en cause les actions, l’équilibre apparent, le développement interne ou externe de la société occidentale, et ses rapports à d’autres ensembles. La proposition Utopia Bianca de Berdaguer & Péjus, réactualise les recherches d’Enzo Mari dans le domaine de l’auto-conception ou DIY, en opposition à la production industrielle de masse. En enveloppant des maquettes de ses travaux dans des cocons fantomatiques, ils en soulignent leur occultation et la possibilité de leur dévoilement, de leur remise au jour. L’ensemble, Gnomons, met en mouvement des néons rotatifs. Cette oscillation dans l’espace de tubes néons renvoie par contraste, à la fixité agressive de l’éclairage industriel ou d’espaces de travail aliénants.
Olivier Peyricot replace les usagers et leurs usages dans des projets aspectant l’autonomie, tant au niveau des individus que des communautés. Armoire Pleine est à la fois un escabeau, un espace de rangement, et une chaise haute. Des plaques de polystyrène extrudé bleues posées verticalement en épi évoquent l’arbre de vie et les mouvements des eaux de rivières. Par cette armoire conçue comme une sculpture, le rangement n’est plus contraint dans une forme fermée mais devient émancipant dans une forme ouverte. Ange Rapide Invisible est un sac à dos composé de 2 équerres en aluminium et de 23 matelas mousse. Il est conçu pour permettre à une communauté de pouvoir établir un premier habitat. Dans l’idée d’une programmatique de l’autonomie par l’échappement, c’est une proposition d’action non pas irréalisable mais potentiellement réalisable.
Thirtyminmiami est un lustre constitué de sangles et de diodes préprogrammées, reproduisant l’éclairage des 30 premières minutes du film Miami Vice de Michael Mann. C’est une critique du cinéma de divertissement américain en tant qu’outil de propagande de l’hyper-capitalisme qui sous couvert, dans sa scénarisation, d’en dénoncer les travers en apparence, ne fait que les renforcer. C’est également un détournement inédit de son esthétique. En isolant l’élément lumière du film, cette pièce propose une expérience sensorielle telle que l’ « Expanded Cinema » le fait, et dans un même temps, elle met en abîme les éléments d’une mythologie, la ville mégalopole, les dépenses orgiaques, la violence, les trafiquants, la police, les rapports de domination. Dans cette exposition, il est ainsi question de construction de sens, de poétique par la reconfiguration, de culture de l’action sans cesse évolutive. La représentation de l’utopie par la forme est donc effective.