Hippolyte Hentgen — Galerie Semiose
S’appropriant les univers visuels avec une liberté et une audace rares, les créations du duo Hippolyte Hentgen font résonner les nombreuses cultures qui les nourrissent et les parcourent. La galerie Semiose accueille jusqu’au 09 février leur dernière exposition qui articule l’essentiel des enjeux de leur démarche.
Sunday in Kyoto — Hippolyte Hentgen @ Semiose Gallery from January 12 to February 9, 2019. Learn more La malice, le plaisir du détournement, de l’invention et de la reconstruction, tantôt bancale, tantôt complexe ouvre les pores des codes de la représentation pour élaborer, à la manière de leur duo débouchant sur la naissance d’une troisième entité, Hippolyte Hentgen, une voie médiane au dessin et au collage qui renouvelle dans ses racines la création de l’image. Ce « cerveau pour deux », né de la fusion de leurs noms de famille, agit depuis une dizaine d’années comme un cerveau pour tout, un processus de création affable, nourrissant et infiniment riche.L’art d’Hippolyte Hentgen s’empare de l’imagerie désormais industrialisée, emprunte à toutes les traditions d’image, au Pop, au Surréalisme, à DADA et à tant d’autres pour inventer une iconographie nouvelle, ressuscitant en quelque sorte un corpus secret de formes et d’images nées d’une conscience « filtre », un cerveau dépôt qui hanterait notre passé pour agencer des combinaisons que leur fixation, par dessin, par collage, par empilement, dote d’une singularité retrouvée.
Pour être légèrement trivial, cette con-science Hippolyte Hentgen formalise le multiple, en le jetant dans le tambour de son regard affamé, pour l’étaler, le suspendre et le plier en une aberration tautologique unique. Aléatoire, fantaisie, déjà-vu, familier et étrange s’emmêlent au cœur d’un processus de création interne externalisé par cette figure inventée. La machine Hippolyte Hentgen fonctionne à plein régime et prouve avec cette nouvelle exposition son aptitude à sidérer le réel en lui opposant sa propre organisation.
Avec pour point de départ la ville de Kyoto, leur nouvelle exposition chez Semiose initie un voyage des formes et des motifs qui dépasse largement les frontières pour produire des images fantasques, fantastiques, fantasmatiques et fantomatiques. Une litanie idéale pour un œuvre qui engendre le doute, la proximité, l’inquiétude, la sidération et la fascination tout autant qu’il convoque des esprits épars, des mythologies singulières pour les hisser à un même rang dans son ordre idéal. Les vocabulaires graphiques sont autant de passerelles vers de nouveaux mondes à explorer qui, au contraire d’araser les différences dans une forme de relativisme bon ton, s’attache à envisager toutes les lignes du monde pour ce qu’elles sont, des agencements uniques de lignes, couleurs, angles qui ont forcément quelque chose à faire avec leurs homologues.
Les compositions, toujours d’une redoutable efficacité, jouent de leur grotesque singularité avec une évidence de communicabilité qui s’écarte des codes contemporains. Hippolyte Hentgen, à rebours des tentations du « partage » comme étalon de l’efficacité, inscrit le partage, la rencontre, l’emboîtement et l’accident des différences au cœur même de ses créations. Chacune d’entre elles devient ainsi la mise en branle d’un orchestre généreux où les dissonances sont autant d’échos reconnaissant à chacune sa raison d’être, son égalité profonde dans l’usage qu’il en fait.
Ce langage fait de drôlerie, d’apparat, de grotesque et de minutie saisit une fois de plus avec cette très réussie Sunday in Kyoto. Ce qui frappe encore, c’est la construction, l’équilibre chaque fois atteint entre les lignes, les couleurs, les fonds, les superpositions qui entent l’ensemble de la série. Le passage sans égards du goût de l’idole à la plongée dans le délire impose ici une démarche passionnante et aussi prometteuse qu’imprévisible.
Ce corpus apparaît alors comme un artisanat utopique qui, dans son apologie du « faire » et sa subtile tension entre toutes les formes de beauté, invente un équilibre du bégaiement, de la répétition incertaine des images en les parant chaque fois de ses propres ratures, de ses doutes et de ses certitudes et en leur imposant surtout, son propre rythme.