
Sosthène Baran — En questions
Sosthène Baran (1990) rencontre peinture et sculpture après un parcours atypique, nourri de multiples expériences créatives dépassant le cadre des arts plastiques. Diplômé des Beaux-Arts de Caen en 2020, il développe une pratique singulière qui détourne les supports matériels pour y déployer un théâtre immobile et pourtant vibrant. Là, réel et imaginaire se contaminent, ouvrent des brèches vers d’autres dimensions et interrogent nos croyances comme notre rapport aux images. Entre science-fiction, spiritualité et mirages du quotidien, sa création porte toujours la marque d’une mutation où le trouble devient l’élément moteur de l’expérience.
Comment en êtes-vous arrivé à l’art et quel a été votre parcours jusqu’ici ?
Mon parcours n’a pas été linéaire. Avant de me consacrer pleinement à la peinture, j’ai exploré plusieurs domaines : la cuisine, la gravure, la peinture décorative et le graphisme. En 2020, j’ai obtenu mon Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique (DNSEP) aux Beaux-Arts de Caen, à 30 ans. Cela a marqué un tournant dans mon engagement envers la peinture et mon désir de devenir artiste. Ce chemin a été long, mais toutes ces expériences nourrissent aujourd’hui ma pratique, en m’apportant un regard singulier et une grande exigence.
Comment définiriez-vous votre pratique ?
Mon travail mêle peinture, sculpture et objets récupérés que je transforme en supports : portes, fenêtres, meubles ou têtes de lit deviennent la base de paysages singuliers et lumineux, proches du mirage. Par un processus fait de strates, de croquis, d’accidents et d’assemblages, surgissent des images où réel et imaginaire se contaminent. Je cherche une alternative à l’humain, à notre rapport au monde et aux images, et peut-être à la peinture elle-même. Mes outils faits main et mon approche expérimentale me permettent de créer des effets uniques, où se croisent lumières, corps et figures dans un théâtre étrange et silencieux. Ma recherche s’alimente de l’irréel, de la science-fiction, du surnaturel et des récits religieux. J’interroge nos croyances, notre rapport au monde et la trace de l’humain. La critique Fiona Vilmer décrit mon travail comme une tentative de « décollement du réel ». J’aime beaucoup cette idée.
S’agit-il pour vous de vous inscrire en rupture avec une histoire (de l’art des formes, des idées) ou dans la continuation d’une tradition ?
Je ne cherche pas volontairement la rupture ni la continuité. Je me nourris des images du passé et du présent, en les transformant pour créer un univers propre, presque futuriste. Le critique Marc Donnadieu, dans un texte écrit pour une exposition personnelle, parle de superposition et de renversement du temps dans mon travail. J’ai trouvé qu’il avait bien saisi mon envie de m’affranchir d’une époque ou d’un cadre temporel. Il y a évidemment des liens avec certains courants artistiques, le surréalisme ou Supports/Surfaces mais je refuse de m’y enfermer. Mon approche reste instinctive : je vois ma peinture comme une matière en mutation, affranchie d’un cadre.
Des figures de la création ou de la pensée continuent-elles de vous nourrir ?
Je n’ai lu que très peu de théories ou d’essais sur l’art, et cela remonte à mes années aux Beaux-Arts. Mes inspirations me viennent surtout de l’image et du son, à travers le cinéma et la musique que j’ai longtemps explorés. Je fais confiance à la nourriture inconsciente qui surgit dans le travail, par la répétition et la pratique quotidienne. En parallèle, je lis beaucoup sur la spiritualité en général, et plus spécifiquement sur le bouddhisme zen japonais. Pour résumer, mes « mentors » vont de Fox Mulder en passant par Thom Yorke à Khalil Gibran ou Rûmi. Ce sont des présences dans mon travail, sans que je cherche vraiment à m’y attacher.
Quel impact cherchez-vous à provoquer sur le spectateur ?
Je souhaiterais que mes œuvres soient des portes vers des visions et des dimensions alternatives, des espaces où le réel laisse place à l’imaginaire. En intégrant des éléments du quotidien transformés par la peinture et le bricolage, j’espère provoquer une remise en question de la perception habituelle des choses, et susciter un trouble qui ouvre d’autres possibles.
Donnez-vous toutes les clés de compréhension ou ménagez-vous des zones d’indétermination dans votre œuvre ?
Je n’aime pas que tout soit expliqué. J’accorde une place centrale à l’ambiguïté et aux zones d’indétermination. Plutôt que de donner des interprétations définitives, je préfère semer le doute, comme un magicien qui détourne, dissimule ou trompe l’œil. Je veux laisser à chaque spectateur la possibilité d’y projeter ses propres expériences et émotions, et de repartir avec une sensation d’insaisissable.
Souhaitez-vous, à travers vos œuvres, représenter l’image d’un autre monde possible ou au contraire nous encourager à nous représenter le nôtre de manière nouvelle ?
En tant que grand rêveur et convaincu de l’existence des extraterrestres, je me sens plus proche de la représentation d’un autre monde. Mais mes images renvoient aussi à notre réalité, à nos souvenirs et à nos mirages. Je dirais donc un peu des deux. J’aime créer une ambiguïté qui invite à regarder autrement.
Pouvez-vous nous dire quelques mots autour de l’exposition que vous présentez actuellement ?
En septembre, je participe à l’exposition collective Les fous de l’avenir à la Galerie C, à Paris, avec qui je collabore depuis deux ans. Je suis également sélectionné pour le Prix de peinture Novembre à Vitry, à la Galerie municipale Jean Collet.
La pratique de l’exposition a-t-elle modifié votre travail ?
Elle n’a pas transformé ma manière de travailler, mais elle influence parfois le choix des formats, des médiums et des registres. Après quelques expositions personnelles, j’aime aujourd’hui alterner entre la production de tableaux et des sculptures ou objets étranges, avec des médiums plus expérimentaux. Cela me permet d’enrichir la narration et de considérer l’exposition comme une œuvre en soi.
Parmi les artistes de votre génération, y-a-t’il des démarches qui vous impressionnent ?
Je regarde le travail des artistes de ma génération sans tomber dans la fascination, par crainte de l’influence ou de la filiation. Je me tiens informé pour garder une vision claire et actuelle du paysage de l’art contemporain. Ce qui m’impressionne le plus aujourd’hui, c’est la polyvalence des artistes, capables d’exceller dans des médiums très différents.
Quelle exposition en cours nous conseilleriez-vous ?
Je vais voir trop peu d’expositions, de peur parfois d’être influencé ou inhibé. Mais en ce moment, comme beaucoup, je recommande vivement Wolfgang Tillmans au Centre Pompidou, avant la fermeture.
Quels projets pour les mois à venir ?
Après mes expositions de septembre, j’attends de nouvelles propositions avec les galeries avec lesquelles je collabore, et je participe à différents appels à projets et résidences. Je fais aussi partie du collectif d’artistes Exclusive avec lequel nous venons d’ouvrir un artist-run space à Ivry-sur-Seine, où nous préparons de futures expositions. Mais mon projet principal reste de continuer à créer chaque jour à l’atelier : c’est là que je trouve mes perspectives et mes solutions.