Steven Parrino — Galerie Loevenbruck
La galerie Loevenbruck présente une exposition réjouissante de petits formats du maître Steven Parrino qui dévoile des thèmes et une technique permettant d’entrer dans une dimension plus intime de cet artiste dont l’aura continue de maintenir une véritable légende.
Steven Parrino — Oeuvre graphique (1989-2004) @ Loevenbruck Gallery from February 18 to April 30, 2022. Learn more S’il a pu apparaitre comme un formaliste, il sonne aussi bien la défaite de la forme, sa friabilité et sa destruction annoncée dans les plis et replis de la toile que l’avènement de certaines d’entre elles, nouvelles. Car, plein d’une liberté absolue, Parrino décroche des contextes, dérape entre les genres pour imposer de nouvelles lignes dans l’espace qui viennent suspendre le regard et atomiser la vue d’ensemble en créant sa propre esthétique.Mort, chiromancie, mécanique et rêves de métal ornent le geste fondamental d’un artiste dont l’arrachement, le poignant repli de ses œuvres les plus connues a si intensément accolé la figure à une lecture théorique. Steven Parrino y déplace le cadre de l’image dans une création qui la noie jusqu’à l’abstraction bichromique, s’en empare et la tire, fait poids pour la lester de cette cicatrice qui figure la tentative de son arrachement.
Le noir, plus que jamais, devient la couleur symbolique d’un regard et, derrière toute la complexité de son grand œuvre, révèle pour une fois une force touchante qui fait vivre plus encore son souvenir. Ce même noir qui tisse la parenté entre son œuvre abstraite et la figuration que l’on découvre dans ce parcours. En chaque œuvre se joue le théâtre d’un art qui métamorphose sa forme, calque, copie, rature, construit, démultiplie et fait concision de l’espace ; le fond, uniformément absent constitue la plage abandonnée sur laquelle Parrino trace la partition de ses figures libres.
À la manière d’une pochette d’album musical, le dessin condense autant qu’il charrie un univers singulier, recommencé à la frontière de chaque objet. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit pour un artiste aussi conscient des enjeux et des désirs d’une époque où la contradiction de formes n’empêche en rien le dialogue, où plutôt réinvente ses frontières pour renforcer celles de ses propres œuvres, leur donner un fonds signifiant absolu mais jamais déconnecté de toutes ses autres pratiques.
Au sein de ces petits formats, la précision de la répétition s’opposent à l’intense incertitude du flou, la technique industrielle croise l’imperfection de la main ; en un espace réduit, Parrino opère la concentration d’une dynamique d’un siècle touchant à sa fin, articulant dans son propre travail la réduction nucléaire d’une société post-atomique, où la force et la violence ne s’expriment plus dorénavant par le gigantisme de ses structures mais par la précision et la réduction de la puissance à portée de la main. Et cette main, c’est alors celle de l’Amérique.
Dans cette graphie d’icônes populaires, d’inventions et de collages d’images, l’ensemble se révèle aussi brut que brutal, férocement jouissif et irrévérencieux, à l’image de ce labyrinthe contenant en son centre cette évidence qui sonne comme une adresse en miroir : « Jerk ». Steven Parrino « mixe » les références et, ce faisant, invente, toujours malicieusement en phase avec la multipolarité d’un esprit séduit par les lignes les plus fantaisistes, par les images les plus régressives.
On y retrouve ce désir de jouer à se faire peur, de grimer, jusqu’au grotesque, un réel dont on sait pourtant la cruauté. L’artiste adopte à son tour le design de son époque, la froideur forte des matériaux encore bruts, l’industrie triomphante de lignes automobiles s’exposant de manière discontinue dans les rues des villes.
S’y lit ainsi à loisir la critique mais aussi le trouble jeu de l’image, lui-même se mettant en scène dans la vidéo très opportune présentée au sein du parcours ou la figure de Parrino croise celle d’Andy Warhol. En ce sens, son esprit se fait d’autant plus présent, dans cette belle succession d’œuvres sur lesquelles son regard s’est littéralement posé, au sein des zones remplies de hachures dont la mécanique l’a sûrement lui aussi entraîné à divaguer.
Particulièrement touchant, cet ensemble révèle un choix viscéral de reposer les outils, de faire dans la simplicité l’objet de ce qu’il « souhaite » montrer, partager. Une présentation à valeur historique donc, mais qui marque plus encore par sa capacité à faire vivre un œuvre dans sa fulgurance, dans la recherche et la mobilisation d’images à même de définir leur époque.