
Forever Young — Mac Val, Vitry-sur-Seine
Explosive, ambitieuse, joyeuse et engagée, l’exposition Forever Young au MAC VAL accompagne avec une fougue merveilleuse l’anniversaire de l’institution. Devenue, au fil de ces vingt années, un monument vénérable, elle n’a pourtant jamais renoncé à explorer les problématiques et les enjeux d’une époque et d’identités qu’elle contribue à façonner.
Exposition : « Forever Young — 20 ans du MAC VAL » du 14 juin au 31 décembre. En savoir plus Avec une sélection pléthorique d’artistes aux pratiques très diverses, Forever Young fait souffler un esprit d’ensemble orienté vers l’exploration et la dimension sensible de l’émancipation personnelle. Les propositions abondent : univers mentaux recréés à partir de l’accumulation et de la fusion des images de masse (Mario D’Souza, Garush Melkonyan, Maïlys Lamotte-Paulet…), mises en scène nourries par le rituel et la tradition, tentatives d’échapper à ces héritages par des abstractions esthétiques singulières (Camille Brée, Richard Otparlic…), voire appropriations hybrides qui les combinent.Comme un saut dans le temps, le commissariat tend un miroir avec autant de curiosité et d’intrépidité qu’il y a vingt ans, mais à destination d’une génération qui vient tout juste de se saisir de ces codes. Une scène attachante d’enfants des années 1990-2000 (et un absent présent, Mehryl Ferri Levisse, auquel l’exposition rend hommage) qui partagent une histoire personnelle avec ce musée unique, fidèle à sa mission première : rendre un art exigeant accessible à tous les publics et, de fait, matrice pour de nouvelles générations d’artistes.
Avec bienveillance et un talent constant, le commissaire Frank Lamy entraîne à la fois cette nouvelle génération et le spectateur dans une odyssée foisonnante de sentiments, de combats, d’inventions et de problématiques. Le commissariat privilégie en effet l’association d’idées, les résonances sensibles, les écarts audacieux plutôt que la stricte classification. Les œuvres dialoguent par contrastes, se renvoient des échos, se contredisent parfois — mais la mise en espace en tisse un récit fluide et polyphonique aux multiples personnalités affirmées.
Un jeu d’équilibriste s’installe, tissant entre les pièces un fil cohérent qui fait coexister l’expansif et l’intime, le sobre et l’éclatant. Ce sentiment d’horizontalité rend hommage à une génération qui s’affranchit de plus en plus des hiérarchies, joue de sa précarité sans s’encombrer de théories unificatrices ou dogmatiques. Derrière la douceur des couleurs pastel, la pudeur des teintes passées, la fantaisie finit pourtant par gronder. Impossible de le dire mieux que Nietzsche : “il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante”, exposer à tous le désordre fertile des sentiments pour engendrer le fracas du neuf.
De la monumentale signalétique où le simple mot proclame la révolte (Aïda Bruyère) à la mise en scène prolifique de soi déclinant les biais de la perception sociale (Coco de RinneZ), de la céramique méticuleuse comme modèle réduit d’imaginaire rappelant la nature incendiaire du matériau — avec en frontispice l’injonction « Burn them all » (Jordan Roger) — au travail graphique de la plume ou aux architectures mentales matérialisées (Grichka Commaret), le grand écart reste constant mais cohérent. La multidimensionnalité de ces pratiques affirme l’art comme exposition de soi.
Jusqu’aux confrontations techniques au sein d’une même œuvre : vidéos et sculptures saisissantes de Kim Farkas qui projettent dans un monde au décalage inaltérable, ou accumulations de Chadine Amghar, érigeant un monument résonnant de la polyphonie même des signes. Selon nos vécus et les cultures qui nous entourent, l’usage d’éléments urbains oscille entre inquiétude et affection (pigeon), menace et plaisir (trottinette), banalité et préciosité (parpaing, pastèque). Parlant immédiatement à tous, même s’ils n’ont pas l’heur de connaître les quartiers éponymes, Barbès — Château — Rouge, l’œuvre joue de la fécondité du doute et, en laissant chacun confronter ses affects à sa saisissante familiarité, le médium plastique témoigne d’une énergie en mouvement qui place la pratique au cœur de l’argument.De fait, le motif de la main, du geste, dans sa fragilité et sa persistance, se révèle peu à peu comme le pôle central d’une création en apprentissage continu, pour les artistes comme pour ceux qui les regardent. Et c’est la première leçon, à la fois évidente et inattendue, qui émerge des œuvres : la jeunesse n’est pas dans la tête, elle est dans la main. Au doigt et à l’œil, elle prolifère, éclate, ensemence tous ceux qui se tiennent à son bord ; c’est la seconde leçon : elle rend le plaisir éternel tant qu’on s’y confronte et qu’on lutte pour la (re)garder.