Gail Pickering — La Ferme du Buisson
La Ferme du Buisson propose une exposition audacieuse, qui vient marquer un repère dans la démarche d’une artiste exigeante et subtile, qui fait d’une aventure collective passée le point de départ d’une expérience à venir.
« Gail Pickering — Near Real Time », La Ferme du Buisson, Centre d’art contemporain du 17 mai au 27 juillet 2014. En savoir plus Gail Pickering a ainsi observé, recoupé et sélectionné une multitude d’éléments tirés d’une expérience sociale de cinéma, La Vidéogazette, menée dans les années 1970 à Grenoble. Expérimentation riche et première télévision communautaire, elle s’acheva dans un climat de défiance généralisée quant à l’objectif politique de son usage et vit ses principaux acteurs s’en détourner. C’est toute cette ambiguïté constitutive qui dresse la perspective de recherche de Gail Pickering, s’attachant à faire revivre cette aventure sans en occulter la dimension inquiétante d’une perte de la subjectivité dans la mise en images des corps.On entre ainsi ici en mémoire dans la pénombre, une pesanteur lourde qui efface les repères, nous laissant naviguer à l’aveugle face à des images obscures. Sur un premier écran isolé, des mains s’agitent, désignent et prélèvent des morceaux de matière de ce qui s’apparente à une sorte de relique. Privée de bande-sonore, la vidéo dévoile une activité ambigüe qui fait pourtant sens ; ces manipulations ont certainement une visée pédagogique, mais laquelle ? Reste un ballet étrange, une chorégraphie mystérieuse autour d’un objet non-identifié. L’expérience, aussi sensible qu’esthétique annonce immédiatement la perspective de l’artiste ; de chaque extrait qu’elle a sélectionné parmi les centaines d’heures d’enregistrement de cette télévision associative, l’enjeu dépasse la simple documentation. Toute image devient matériau pour une nouvelle création, monte et démonte la réalisation pour faire vivre à nouveau des séquences qui invitent à une réflexion en profondeur des outils de production. À l’opposé, un autre écran, dans un même dispositif, ajoute une bande-sonore qui se fait écho à la première vidéo. Ainsi délocalisé, le son se détache de l’image pour installer un parcours aux limites de l’angoisse et crée ce sentiment de redécouverte par strates successives, voire de compilation créative par la déconstruction.
En ce sens, Gail Pickering développe une archéologie des pratiques culturelles, ou plus encore, une tentative pour inventer une nouvelle archéologie de la culture, qui passe aussi bien par son recollement que par la capacité du chercheur à en proposer un usage collectif. Car l’artiste emprunte elle-même aux expériences de la Vidéogazette en s’appropriant leur mode de production et en créant, à son tour, une vidéo étrange, mêlée aux images d’époque et semblant se prolonger jusque dans l’espace d’exposition, qui abrite les mêmes blocs de bois que ceux foulés par ses actrices. Intégrée à ces expériences, Gail Pickering efface les frontières temporelles et s’installe dans cette chronologie réinventée pour rendre au temps toute sa plastique, sa vertu de ne s’écouler qu’à la mesure du regard et de l’implication de celui qui le contemple. Hanté par le bruit de neige, l’espace nous fait lui-même pénétrer cette expérience initiale de la télévision participative, où chacun peut se retrouver au cœur d’un dispositif de retransmission.
Cette relecture quasi poétique de l’histoire d’une expérience et culturelle fait de Near Real Time un parcours mystérieux et grave où les installations se répondent, se complètent et s’entremêlent en aller-retour de production d’époque et de réalisations contemporaines.