
Vivian Suter — Palais de Tokyo
Au Palais de Tokyo, l’exposition consacrée à Vivian Suter nous plonge dans un univers pictural d’une rare densité, à la fois organique, libre et profondément sensoriel.
« Vivian Suter — Disco », Palais de Tokyo du 12 juin au 7 septembre. En savoir plus L’artiste, installée dans la jungle guatémaltèque depuis les années 1980, expose une œuvre foisonnante où la toile, plus qu’un medium, trace dans l’espace une litanie de motifs vivants qui font du geste curatorial un reflet intelligent de la pratique de l’artiste. Car les toiles de Suter habitent littéralement l’espace. Suspendues, parfois entassées, éclaboussées de terre ou de pluie, elles vivent. Cette peinture se touche autant qu’elle se regarde — une peinture sans cadre, sans hiérarchie, dont les gestes éclatent dans toutes les directions. La liberté formelle rejoint ici la liberté matérielle de l’artiste, délivrée des attendus d’un monde de l’art qu’elle habite depuis la marge.L’exposition établit un parallèle touchant avec le travail de sa mère, Elisabeth Wild, elle-même artiste, dont les collages rigoureux font contrepoint aux débordements lyriques de Suter. Cette mise en dialogue mère-fille donne une épaisseur particulière à l’ensemble, intégrant littéralement l’art à la généalogie familiale, plus encore lorsqu’on apprend que le titre même de l’exposition, Disco, est celui du chien de l’artiste, rompant définitivement les frontières du quotidien. Du jardin secret, Vivian Suter livre les plans d’un grand parc commun, aussi humble que luxuriant. Derrière les gestes apparemment abstraits, des formes surgissent — végétaux stylisés, cercles solaires, silhouettes parfois. Le cercle s’impose comme une matrice obsessionnelle, déclinée à l’envi, rythmant et saccadant l’organisation de surfaces éparpillées. La tension est constante entre la vitalité des contrastes — parfois presque expressionnistes — et la délicatesse de gestes plus impressionnistes, comme esquissés dans l’urgence. Ce déséquilibre permanent produit un équilibre paradoxal : une peinture en suspens, mouvante, dont l’émotion tient moins à l’effet qu’à son étirement spatial et, partant, son prolongement dans le temps.
À l’image surtout d’un sentiment mêlé qui habite le visiteur, probablement plus marqué par le dispositif d’exposition, son ambition et sa générosité que par les œuvres à proprement parler, pas assez mises en perspective avec l’histoire d’une peinture qu’elles discutent pourtant frontalement. Sur ce vaste et généreux plan, les œuvres de Suter vibrent et éclatent avec évidence mais leur construction, souvent plus complexe que purement intuitive, n’éclate pas avec la force attendue.
Reste néanmoins un engagement et une implication indéniables qui, passé le désir de séduction et de réconfort, se fait miroir d’un regard perpétuellement ancré à un paysage et une vie qu’il ne cesse, à sa manière, de célébrer, livrant par la matière sa part universellement vibrante.