Hassan Sharif — gb agency
La galerie gb agency propose, avec l’exposition From Daily Experiences to Collective Stories une rétrospective ambitieuse de l’artiste émirati Hassan Sharif, figure de l’art conceptuel du Moyen-Orient qui aura marqué l’histoire culturelle de son pays à travers un œuvre protéiforme et une implication constante auprès de la scène artistique locale.
Pionnier de l’art conceptuel dans son pays, les Emirats arabes unis, Hassan Sharif, né en 1951 et disparu en 2016, aura consacré sa vie à la création artistique sous toutes ses formes. D’abord caricaturiste acerbe dans les années 1970, il marque son temps en ironisant sur l’expansion incontrôlable d’un pays en pleine construction identitaire (Les EAU sont fondés en 1971). S’ouvrant alors à des pratiques plus conceptuelles, il développe un œuvre fait de performances, d’actions, de peintures et d’installations et, après avoir complété sa formation artistique au Royaume-Uni dans les années 1980, devient une figure tutélaire de l’art de son pays en développant des infrastructures et en jouant le rôle de mentor auprès de la scène artistique locale.
C’est que, Hassan Sharif, profondément marqué par les grandes figures de l’art du XXe, en premier lieu desquelles Marcel Duchamp, formalise son engagement à travers sa compréhension des mouvements artistiques (Dada, Fluxus, Arte povera, etc.). Lui-même illustre peut-être au plus juste la problématique artistique qui l’anime lors de son retour aux EAU, tentant de faire tenir en équilibre la création conjointe d’un œuvre et la constitution des conditions d’existence d’un auditoire pour celui-ci : « Je ne créais pas alors que de l’art mais également un public. Il fallait que je mette en contexte ce que je faisais » 1. Il traduira notamment en arabe des extraits de textes et manifestes majeurs de l’histoire de l’art du XXe siècle. Du créateur solitaire face à sa page blanche, il se mue en un passeur de toutes ces idées qui agitent la vie intellectuelle occidentale et intègre donc une dimension collective sociétale à son rôle d’artiste. Une dimension d’autant plus intégrée qu’il refusait qu’elle soit considérée comme un attribut extérieur à sa pratique, rejetant avec virulence les qualificatifs de « père » ou de « parrain » de l’art contemporain émirati, se considérant simplement son activité comme sa manière « d’être artiste », de « poursuivre son œuvre » 2.
En se tournant vers les matériaux de rebuts, en usant d’un humour virant parfois à l’absurde et à la célébration du ratage, Hassan Sharif développe un art d’une fragilité éminemment humaine qui se joue de la figure du créateur pour mieux pointer le déséquilibre du monde dans lequel il évolue. Ses objets, peintures et installations deviennent autant de participants d’une charade visuelle peine de drôlerie et de piquant. Alternant les médiums et s’aventurant dans les multiples champs de l’histoire de l’art, son œuvre total rencontre un succès international qui ne se dément jamais. Ses créations intègrent ainsi les collections prestigieuses du Centre Pompidou, de la Tate Modern de Londres, du Guggenheim New York et il sera invité plusieurs fois à la Biennale de Venise.
Particulièrement célébré pour ses installations composées d’accumulations de reliquats de l’industrie, les Objects issus d’assemblages monumentaux virant à la laborieuse tâche d’un esclave volontaire, son œuvre questionne directement les ambitions d’un mode de vie tourné vers une consommation effrénée et incapable d’observer les stigmates indélébiles qu’elle draine à sa suite.
C’est ainsi l’un des principaux traits de sa démarche, cherchant par sa pratique à combiner à l’esprit de l’art conceptuel une implication tangible de son corps, de mettre en jeu un art comme une pratique passant par le « faire ». Une pratique qui aura été également, tant sa personnalité a marqué ses contemporains et contribué à l’essor de l’art, un « être ».
1 The National, Arts & Culture, Anna Seaman, 4 March 2015 : « I didn’t only make art but I made my audience too. I had to contextualise what I was doing »
2 The National, Arts & culture, Anna Seaman, 4 March 2015 : « I hate it, I don’t want to be a father or a grandfather; I just want to keep working. I am an artist, I found my way and this is me. I am happy that it happened like this. » Lire ici