Lou Masduraud — Maison Populaire, Montreuil
Invitée par le commissaire Thomas Conchou, Lou Masduraud investit la Maison populaire de Montreuil de sculptures, en majorité inédites. Artisanales, organiques et généreuses, elles jouent à rendre mou et poreux l’espace public, ses institutions et ses normes.
Pour sa première exposition personnelle, l’artiste est passée par le collectif. Une partie des pièces présentées ont été réalisées sur place par des adultes et enfants en collaboration avec Lou Masduraud (née en 1990), qui a fait une place autant à leurs mains qu’à leurs idées. De ce travail d’équipe sont nées des reproductions miniatures en céramique émaillée des principales institutions de Montreuil, enracinant l’exposition systm soupir dans un territoire local — une habitude chez l’artiste toujours attentive aux spécificités des lieux qui l’accueillent. Mairie, conservatoire, « kommissariat », hôpital, école, bibliothèque et tribunal… Ces lieux de pouvoir emblématiques sont privés de toiture. En équilibre précaire, soudain sans protection, ils s’exposent à notre regard voyeur. Si l’on ne veut manquer aucun détails, il faut courber notre corps au-dessus d’eux, puis nous accroupir, car isolés les uns des autres en surface, ces bâtiments sont liés par un réseau souterrain de tuyaux en papier journal et grillage métallique. L’artiste dévoile par cette série Détente institutionnelle sa fascination depuis l’enfance par ce qui fait l’envers de la ville : cette machinerie complexe plus ou moins bien huilée, souvent invisible ou peu observée, métaphore de l’organisation de la vie en collectivité.
Accrochés au mur, des soupiraux attirent notre regard, eux aussi, par leurs grilles percées. Effraction a eu lieu. Qui a osé passer par là ? S’approchant, on aperçoit à travers ces fentes, derrière le mur, des petites formes étranges composées de matériaux simples (carton peint, tissu, grillage) et même d’autres trous encore, d’autres chemins dont on ne soupçonne pas la fin. Pour cette série Plan d’évasion, l’artiste a composé avec le récent réagencement de l’espace d’exposition du centre d’art, en investissant une galerie étroite et cachée servant d’entrepôt. Dans la rue, les soupiraux sont d’ordinaire au niveau des sous-sol, discrets et interdits. Ici à hauteur de regard, ils semblent pouvoir nous aspirer. L’invitation de Lou Masdurand, à se glisser mentalement dans ces failles clandestines, mi-politique mi- érotique, est tentante. Si l’on se fie à leur aspect kitsch, brut et bancal, peut-être pourrait-on y rencontrer, non pas un monde fantasmé et impossible, mais un réel déformé, qui embrasserait le grotesque et le queer, renversant le lisse, le droit, l’oppressif. Les œuvres de Lou Masduraud contaminent, avec ruse et minutie, le white cube propre à l’art contemporain auquel la Maison populaire n’échappe pas avec ses murs impeccables, sa lumière blanche et son absence de fenêtres.
Son geste relève en fin de compte d’une réappropriation. Loin de reproduire à l’identique, elle refait en décalé, en bizarre. Elle transforme le commun en futur alternatif. De cette façon, systm soupir apparaît tel un épilogue au cycle « No No Desire Desire » initié début 2020 par le commissaire en résidence à la Maison populaire Thomas Conchou (né en 1989). Au fil des trois chapitres qui l’ont composé ( I’m from nowhere good, La clinique du queer, The many face·d god·dess ), les nombreux.ses artistes invité.e.s proposaient des images du réel en contre-jour de la norme dominante.
Cette fois-ci, Lou Masduraud nous place entre deux fréquences du réel puisque deux échelles sont déployées : d’une part, la ville miniature — que l’on regarde du dehors — et d’autre part, la ville à taille humaine — que l’on regarde du dedans — incarnée par les soupiraux mais aussi par de surprenants réverbères arqués (6dum) et une Marquise, auvent de fer, silicone et fécule de maïs aux allures d’os humains. Ces dynamiques intérieur-extérieur, public-privé, centre-marge sont fréquentes chez les artistes contemporains — des liens pourraient être tissés par exemple avec Mika Rottenberg — mais ont eu la particularité chez Lou Masduraud de s’incarner, dès le processus créatif, dans les corps. En réalisant ces bâtiments montreuillois de céramique, les participant.s.es amateurs.rices ont emprunté un autre rôle : celui de décideur de l’aménagement urbain, qui dessine les frontières, physiques et symboliques, du territoire — pouvoir que viennent parfois défier les artistes.
En chatouillant nos imaginaires — si ceux-ci avaient eu le malheur de s’assoupir trop longtemps –, Lou Masduraud affirme leur pouvoir transformateur du vivre-ensemble. Ses œuvres se passent de références et de théories. Elles disent ce qu’elles sont : de mini perturbateurs d’un ordre établi.
Exposition Lou Masduraud, systm soupir du 13 septembre au 11 décembre 2021, Maison populaire de Montreuil.