Marie Cool Fabio Balducci — Galerie Marcelle Alix
La galerie Marcelle Alix présente jusqu’au 28 octobre Spiaggiamento, une exposition inédite de Marie Cool et Fabio Balducci, un duo d’artistes dont les performances nourrissent depuis plus de vingt ans un univers singulier et minimaliste qui voit aujourd’hui une prolongation inattendue au sein d’une proposition radicale. Un jalon fondamental dans leur art du décalage et de l’effacement.
Encore une fois et par un nouveau biais, ces deux artistes rejouent, plus qu’ils ne l’illustrent, le cercle vicieux de la causalité. Il en a toujours été ainsi dans leurs performances ; si elles constituent des expériences fascinantes pour tout spectateur voyant se mouvoir le corps de Marie Cool, prisonnier d’une série d’ordres imposés par sa seule nécessité, elles sont également des expérimentations intimes et subjectives de limites qui se jouent hors du cadre, qui impriment leurs marques secrètes sur ces artistes qui créent, qui malgré leur mutisme, ne cessent d’agir. Car il en est de l’art comme de tout ce qui se produit, si son partage, son exposition sont des nécessités, sa réalisation implique une vie parallèle, une énergie qui s’épuise, se régénère mais ne s’explique jamais, dans le silence d’un hors-champ parcouru de forces contraires.
Par la radicalité du geste, l’espace de travail devient espace de retranchement, de défense dépouillé même de tout sentiment esthétique. L’attention et les soins des deux artistes aura ainsi consisté ici, plus que jamais, à s’effacer, à disposer pour faire échouer, pour mettre en échec toute possibilité de disposition. Car Marie Cool et Fabio Balducci ne se contentent pas de réaliser un geste symbolique, de donner à voir l’univers du travail organisé pour le déconstruire, au contraire, ils le démontent. Il ne s’agit pas de résister mais d’accompagner l’aporie de l’espace fonctionnel, du doux sentiment quotidien d’un monde rationnel et d’inventer en quelque sorte un ordre qui, avec la pudeur d’une révolution secrète, viendrait annuler en silence son aliénation. Une retenue radicale ; sans bruit, ils démembrent des pans entiers de nos vies et en « aménagent » la disparition définitive. Une logique qui semble ici portée non plus par le geste « présent » mais par l’acte même de cette « non-exposition » aux allures d’inclusion collective.
C’est toute la radicalité de cet art muet qui s’installe, sans bruit et dilapide les codes fonctionnels pour s’approprier un lieu mental, celui de l’activité, pour en laisser émerger une force poétique en acte. Rien de symbolique donc ici, après avoir rendu sourdes les injonctions de l’efficacité et du fonctionnel de la vie de bureau, Marie Cool et Fabio Balducci les transforment en un espace aveugle où seuls quelques fragments du monde percent à travers ces tables érigées comme des barricades, où les écrans vides gisent au sol quand leur propriété fonctionnelle est de remplir le regard d’images et, partant, de masquer l’horizon. Mais la perspective a changé. Le monde même de Cool et Balducci a basculé à angle droit ; celui au sein duquel nous pénétrons, effaçant toute participation humaine sinon la nôtre, a trouvé son angle mort. D’où l’on ne voit plus.
De la tâche imposée par la seule exigence de sa réalisation aux accents « sisyphiens » des performances passées, l’absence et la difficulté de progresser dans cet espace, aux limites de la contorsion entre ces éléments échoués, prend des allures de paysage mental en ruines. Les ficelles, bandes de Scotch, feuilles de papier, jeux de lumière ou crayons qui peuplaient, voire rythmaient les œuvres de Marie Cool et Fabio Balducci ont déserté ces bureaux retournés, ont déjà fui ce monde qu’il nous appartient alors de hanter comme elle-seule savait le faire. Pour autant, cet espace désolé n’a rien du célèbre Tartare, cette prison mythologique protégée par de mostrueux remparts, il porte en lui les germes inattendus d’un renouveau. En l’ayant épuisé constamment, ils ont fait imploser l’ordre du monde en silence, laissant ses carcasses s’échouer au bord d’un océan aussi vaste qu’empli de promesses.
Indubitablement, cette exposition marque une rupture avec l’œuvre de ce couple devenu adjonction de quatre noms, « Marie Cool Fabio Balducci ». Indiciblement, la proposition, outre sa radicalité, nous révèle beaucoup sur le passé même de leur création, à défaut d’être prolixe sur son futur. Un geste pour les initiés donc, d’une certaine manière, mais un geste qui ne pourra qu’en initier d’autres à cette logique salutaire de l’effacement du fonctionnel, à l’appropriation grave et à la remise en cause inconditionnelle des espaces quotidiens, à la mise en déroute de la logique du travail, au démontage enfin de « l’efficace ».
Aride comme une certaine mort alors, un véritable effacement sur le point d’advenir qui distille dans Spiaggiamento le sentiment puissant d’une démarche artistique en évolution, une intimité sourde de l’œuvre, de ceux qui la voient et la mettent en scène à ceux qui la font. La sensation tenace que, dans leur effacement, dans l’exigence de leur proposition, ils parviennent à définitivement « hanter » cet espace. L’impression aussi d’une liberté absolue qui entraîne dans son sillage l’engagement de galeristes auprès d’eux (dont l’une d’elles, Cécilia Becanovic, leur offre un vibrant et fabuleux texte) pour laisser émerger une vie des idées sans la cadrer. L’annonciation enfin, d’une biographie d’artistes hors du commun qui semble destinée à s’écrire, dorénavant, en pointillés.