Mohamed Bourouissa — Musée d’art moderne de la ville de Paris
Le Musée d’Art Moderne consacre, du 26 janvier au 22 avril une exposition personnelle de Mohamed Bourouissa, sa première dans une grande institution parisienne. Autour de son film Horse Day se déploie un parcours de près de 80 œuvres qui exploitent une multitude de médiums.
Huit mois de résidence. Bourouissa découvre les écuries associatives de Fletcher Street en tombant sur le travail de la photographe américaine Martha Camarillo. Elle n’a pas souhaité, ou pas pu le rencontrer. L’histoire ne le dit pas. Dans la vidéo interview, nichée parmi les étapes de l’exposition Urban Riders — la première qu’une institution française lui consacre — Bourouissa mentionne l’épisode en baissant le regard. Peu importe. Fletcher Street se trouve à Philadelphie, aux États-Unis. Dans ce ranch, de jeunes adultes noirs issus de quartiers défavorisés rachètent aux enchères des chevaux promis à l’équarrissage. C’est une zone de seconde chance, de réparation. Un refuge quelque part derrière la vie. Comme si la vie était un mur et qu’en se cachant derrière, on respirerait davantage.
De ce Pégase qui se cabre, la tension pèse, prête à l’envol et lourde à la fois. Toute situation peut basculer. Dans leurs échanges, leurs doutes, leurs conversations philosophiques (John Wayne était-il noir ?), les Urban Riders sont en confrontation. Le langage est déjà une compétition. Les carcasses de voitures sur lesquelles Bourouissa a tiré des photographies de chevaux sont éventrées, désossées, morcelées puis juxtaposées, collées. C’est une unité fragmentée, recomposée qui se montre. Quelque chose qui tient debout malgré tout. Le ciment serait le sens. Les images tiennent debout parce qu’elles se rencontrent.
Hybridation. Au niveau des références et des matières utilisées, chaque élément semble répondre à un autre, l’augmenter. Rien ne se décline seul. Homme et cheval, couple muet, inséparable. Même le film est présenté en diptyque. Des aquarelles peintes au crottin déguisent la rudesse des conditions de travail dans le ranch. Tout part d’une histoire de « tuning ». Les costumes que les chevaux ont portés pour le Horse Day, l’événement organisé par Mohamed Bourouissa, point d’ancrage de tout le travail de création exposé, ornent les murs d’une pièce. CD, cordes à sauter, rubans, ailes d’ange, fleurs en plastique, matériel de récupération, les couleurs sont flamboyantes, les matières clinquantes. Ce sont les artistes locaux qui ont été invités à les concevoir. Le Horse Day, c’est à qui aura le cheval le plus élégant. Accrochées comme des trophées, les selles véhiculent le souvenir de la mise en scène festive qui fut prétexte à les créer. Derrière, le mur est tapissé des affichettes annonciatrices de l’événement.
Le film se dévoile enfin, au centre de l’exposition. Le visiteur continue de circuler tout autour. Tout le cheminement semble y mener et le contourner. Le film serait un aboutissement paradoxalement secondaire. Il ne compte pas pour lui-même mais pour ce qu’il a suscité : des deals. Ce n’est pas le documentaire qui l’emporte mais les couches d’imaginaire qu’il fait se télescoper. Deux « riders » montent leurs chevaux au milieu des gratte-ciel, fringués comme des rappeurs, l’allure aristocrate. On est à la frontière entre le mythe du cow-boy et celui de la culture afro, celle du ghetto, chère à l’artiste qui, en partant aux États-Unis, se frotte lui-même à la réalité de son mythe.
Mohamed Bourouissa poursuit avec cette exposition son observation de la société par les marges et les pratiques collectives. Il place l’humain au centre des périphéries. Cela ressemble à une utopie.