
Véronique Caye & Barbara Polla, Manifeste pour un érotisme existentiel — Livre
Véronique Caye et Barbara Polla livrent un manifeste vibrant qui replace le corps et l’attention, le désir et l’affection au centre d’un ordre des choses qui appelle à l’invention plus qu’à la prescription.
Concis mais pas moins riche, leur Manifeste pour un érotisme existentiel s’attache à mettre en perspective toutes les formes de l’attention, à soi et aux autres, pour mieux déjouer catégories et communautés et dessiner les contours de routes nouvelles de la perception.
Une simplicité et un essentialisme qui, par définition, n’ont rien d’une réduction puisque, véhiculé par le désir, l’érotisme passe nécessairement par l’autre. Aller vers soi donc, mais “pour permettre aux autres d’exister à [s]es côtés”. Un projet de vie, qui n’a besoin de rien d’autre que cette même vie. De la sienne comme celle des autres pour pouvoir laisser sa flèche darder à travers un essaim de différences.
Dans leur manifeste, les autrices parviennent notamment, à travers le concept de désobéissance à penser un rapport passionnant de l’érotisme comme désir désirant. Débarrassé du fétichisme de la possession, il déjoue le rapport économique et, s’il n’est pas sans objet, il n’objective jamais ce qui le nourrit.
Ce manifeste apparaît ainsi comme un guide précieux de survie de la joie à l’impact profond des rancœurs mutualisées (légitimes ou non). Au-delà des genres et des catégories, il ramène, sans les éluder, à une voie de traverse intime qui constitue peut-être le moteur le plus essentiel pour mener des luttes plus collectives, celui de vivre, contre tout, sa propre liberté et sa non-assignation. Les pirates, à l’image de cette figure essentielle dans le livre, peuvent entendre cette double nécessité du plaisir et de la responsabilité collective, assignable à un but d’émancipation et sont capables de s’en déprendre dès lors qu’elle menace leur liberté.
Et l’ensemble de tenir sur cette distinction fondamentale qui interdit toute dérive dogmatique : célébrer la puissance plutôt que le produit. L’amour physique, définition étymologique de l’érotisme, se pare de ici de ramifications et multiplie les variations ; un amour par le corps du corps du monde, une posture de soi centrant son affection et son attirance vers le cours physique des choses. Une proximité avec la libération finale de l’Ethique de Spinoza et la manière pour l’humain d’embrasser la nécessité de la vie, l’en-cours plutôt que le parfait.
Une forme d’autodétermination qui permet seule d’être à l’écoute de ceux qu’on enchaîne et qui prémunit contre toutes les visions morales, les raccourcis généralisant et voir en chacun des autres, de tous les autres, l’alter ego d’une voie qu’il lui appartient de tracer, d’un désir qu’il a lui aussi à écrire. Pour nourrir le sien. Cette multitude de lignes, loin d’être parallèles, pourraient alors, dans leurs croisements, constituer plus de points d’ancrages que de contradictions.
À l’image de sa très belle écriture, alerte et gracile, ce manifeste est surtout une fête de l’invention et un voyage pour quelques temps, au coté d’une réflexion à la clarté opaline qui se déploie, filante, sans jamais commander. Dirigeant sans contraindre, cette invitation à repenser de quoi aimer est le verbe active une multitude de champs de réflexion qui font écho à la création et à l’invention plastiques. Et ultimement à l’exposition ; inscrivant dans le rapport aimant à l’autre la condition de manifester son individualité et fondant sa seule exigence sur la nécessité d’opérer un pas de côté, une ex-position qui engage son corps.
Véronique Caye, Barbara Polla, Manifeste pour un érotisme existentiel : Poétiser le réel — BSN Press — Parution 26 novembre 2024