NégoPif — Galerie mfc-michèle didier
La galerie mfc-michèle didier présente NégoPif, une édition qui revient sur un projet du malicieux duo d’artistes aalliicceelleessccaannnnee&ssoonniiaaddeerrzzy dont la mise en espace permet d’apprécier toute la pertinence.
Présentée pour la première fois en 2013 à la galerie mfc–michèle didier, l’édition Pif du duo reprenait l’imagerie du célèbre magazine pour enfants « Pif Gadget » pour offrir, au sein d’une pochette plastique, un ouvrage de la collection « Que sais-je », une fleur et des imprimés des artistes. La pochette surprise, moteur à émotions juvéniles, associée au sérieux d’une collection qui fait autorité traduisait d’emblée toute la malice et l’ambiguïté de ce duo porté sur les variations tangibles des sens du jugement.
Le processus mis en place oscille donc entre la participation active de l’acheteur et une forme de rétribution proche de la joie enfantine de la surprise, ce plaisir sincère partagé par les enfants des années 1980 de recevoir leur « Pif », sa pochette plastifiée qui associait deux mondes différents, celui de l’édition et du jouet. C’est donc à son tour une auto-rétribution, une surprise qui n’en est pas une que s’offre l’acheteur qui prend décidément une place majeure dans une transaction à sa mesure.
La mise en perspective du prix à côté de notions traitées par chaque exemplaire des « Que Sais-je ? » fourni dans les pochettes rend une loufoquerie non dénuée de profondeur, cette comptabilité matérielle devient un élément caractéristique de l’œuvre. Mais plus encore, la juxtaposition de la notion traitée par l’ouvrage, très générale, avec son prix, au-delà du questionnement de l’acte d’échange mercantile, devient un critère aux allures de jugement contextuel qui fait intervenir un élément extérieur à la transaction. « La fatigue » se chiffre ainsi à 1620 euros par personne « au nom de » de la valeur affichée par le programme « Mer de sommeil (6 jours) » affiché au Novotel-Thalassa de Dinard, « Les courses de chevaux » s’obtiennent pour 65 euros, soit le prix de la formule entrée-plat-dessert-boisson du restaurant de l’hippodrome de Vincennes, les 41 euros des « Gros mots » correspondent au nombre d’occurrences du patronyme Connard depuis 1961. Cette redistribution des valeurs du monde, au-delà de son côté jubilatoire, fait de la transaction elle-même une partie de l’action menée par ce duo qui offre ici une déclinaison bipartite de la notion d’investissement, le client offrant un prix à un objet « investi » d’une vision rationnelle et pourtant disjoint de l’acte de vente.
Lorsque la Bibliothèque Kandinsky décide d’acquérir l’un de ces Pif, le duo décide de se lancer dans une négociation inédite qui vise, à travers un échange épistolaire à convenir de la fixation d’un prix qui ne soit « ni arbitraire, ni discrétionnaire », une entreprise d’envergure pour un projet variant de quelques dizaines d’euros à des centaines de milliers, à l’image de cette version accompagnée du Que sais-je ? consacré aux « Noms de fleurs » fixée à 352000 euros, nombre d’espèces de fleurs recensées sur la planète.
Le livre édité à l’occasion de cette exposition intègre donc, en revenant sur une dimension supplémentaire à ce « jeu » » de l’artiste institutionnel, « un jeu de rôles » semé d’embûches et de secrets que leur agenda annuel, base de l’ouvrage édité, retranscrit en y insérant notes, prises de rendez-vous, courriers, cartes de visite. Présenté sur une simple table de travail qui nous plonge dans l’intimité de ses rédactrices, NégoPif devient un journal de la création qui transfigure l’acte marchand qui en était à l’origine mêlant en son sein humour et ironie, naïveté et regard acerbe. Dans ses colonnes, c’est donc un vadémécum du parfait artiste institutionnel qui se dessine, multipliant les rendez-vous avec des personnalités loufoques dont les cartes de visite, imaginaires, trahissent pourtant les inspirateurs. Leurs échanges épistolaires avec l’institution, eux-aussi présents, insistent sur la valeur impossible qu’elles donnent à la poésie face à l’administration qu’elles dotent, à travers leur regard, d’une personnalité fantastique, la faisant littéralement vivre. L’objet livre en lui-même est également soumis à un barème de tarifs progressifs qui engagent à leur tour l’acheteur, l’avenant à s’interroger sur sa propre implication dans le milieu, augmentant le tarif à la mesure du nombre de cartes de visite (imaginaires) souhaitées.
Poésie, drôlerie, réflexion sur la valeur marchande de l’art, de la multitude même de rapports que la création engage dans le monde tangible et de la valeur que l’on donne à l’idée, NégoPif offre un retour jouissif sur un projet qui trouve, sur la longueur, une pertinence toujours plus actuelle.
« aalliicceelleessccaannnnee&ssoonniiaaddeerrzzyyppoollsskkii — NégoPif », Galerie michèle didier du 1 juin au 28 juillet 2018. En savoir plus