Chercher le garçon — MAC/VAL, Vitry-sur-Seine
Exposition événement, Chercher le garçon obéit à l’injonction du légendaire tube des années 80 du groupe Taxi Girl et présente, jusqu’au 30 août, un parcours exceptionnel où se côtoient une centaine d’œuvres d’artistes « mâles » qui interrogent la question du masculin. Si l’on est plus qu’habitué à la pertinence curatoriale du MAC/VAL, cette exposition d’une densité rare confine à l’excellence et invente une méthode à la croisée des langages artistiques pour en découdre avec le monde.
« Chercher le garçon », MAC VAL Musée d'art contemporain du Val-de-Marne du 7 mars au 30 août 2015. En savoir plus Plus proche du cyclone expérimental que de la flèche didactique, Chercher le garçon déploie dans sa multitude une avalanche d’interprétations, de propositions et de contradictions. Toutes les œuvres cherchent ici, à leur manière, à piéger le modèle, le cadre de pensée assigné au masculin. Une richesse qui foudroie dès l’entrée et cette mise en question par Thomas Eller de la notion de mâle hétérosexuel blanc dans une réplique du geste d’Ai Weiwei réactivant le geste duchampien. Le sujet courageux de l’exposition est ainsi attaqué avec la force nécessaire de son ambiguïté. Quelle valeur donner à la représentation de l’homme, que peut avoir à dire, à revendiquer cet animal social « majoritaire » et comment légitimer son acte ?D’emblée, le corps devient une cartographie plurielle et le parti-pris risqué d’un tel thème se révèle. Simple « étalon » de l’espèce ou objet de désir, le masculin se voit enfoncé de tous côtés. L’homme apparaît rapidement comme le témoin neutre de la pression du monde avec les trois vidéos de Bas Jan Ander qui le soumettent, incapable de réaction, à des chutes terribles, auxquelles répond l’Ecce Homo de Laurent Prexl, un tableau froid et objectif de ses composantes chimiques. Un retournement précieux de L’Homme sans qualités de Robert Musil, roman majeur de la modernité ; le monde contemporain peut enfin faire l’inventaire des qualités et déchoir l’homme de son essence « universelle ». Une richesse qui s’exprime ainsi largement par un art de l’acte, de la performance. Pour devenir objet de représentation, le corps masculin se complaît ainsi à s’inscrire dans un projet, dans une démarche conceptuelle.
Dans sa prolixité l’exposition parvient à développer un propos riche car non artificiellement dirigé. C’est probablement l’essence de l’intelligence à l’œuvre ici d’avoir délibérément refusé l’écueil d’un point argumentaire impossible, pour lui préférer un éventail riche d’expériences, de mises en forme de perceptions de sujets. Concrètement, l’exposition devient le lieu d’une pensée en actes, où chaque singularité rappelle la nécessaire complexité d’une thématique irréductible à la systématisation.
À la manière d’un cadavre exquis, chacun parmi la centaine d’artistes fait rebondir les perspectives et redessine le portrait-robot d’une humanité qui, questionnant ses genres, se régénère à l’infini. Une force paradoxale car, face à tant d’œuvres, Chercher le garçon force le regard à embrasser le propos dans son entier, à accepter et à découvrir des propositions qui, par moment, peuvent s’opposer, voire se contredire. Mais en intégrant cette diversité, c’est à un véritable travail de recherche qu’est à son tour confronté le spectateur, contraint de « chercher » lui aussi ce qu’il peut bien y avoir du « garçon » entre la mise en jeu du corps, du statut social, du genre autant que de la performance. Chercher le garçon se parcourt ainsi comme on plonge au cœur d’un océan de concepts et de percepts que le hasard des échos, des flux et reflux souligne et dont l’écume regorge de possibilités.
Une expérience de pensée que seule une exposition de cette envergure peut amener à la vie en déjouant tout fantasme masculiniste pour lui opposer l’échafaudage d’une déconstruction, par le corps dominant, de toutes les formes d’autorité. Une lutte « de l’intérieur » ou plus précisément de l’antérieur, de ce qui précède et fait autorité ; le corps masculin comme objet enfin dominé, comme sujet capable d’explorer et, in fine, de refléter sa réalité.