Pascale Marthine Tayou — VNH Gallery
Pour la première exposition de son histoire, la VNH Gallery, installée entre les mêmes murs que feue la galerie Yvon Lambert, frappe fort. Libre et audacieuse, l’exposition Gri-Gri fait la part belle à un art qui s’empare de l’espace avant de s’y conformer, un art qui impose sa singularité et sa prolixité avant de s’économiser.
Avec une retenue et une pudeur qui a pu parfois manquer à ses œuvres, Pascale Marthine Tayou propose une exposition d’envergure où la forme parle pour elle. Loin des discours et des exhortations, Gri-Gri invite de la plus belle des manières à un voyage vers l’autre. L’autre de l’art, l’autre des hommes. Reprenant les codes de la création plastique avec ses sculptures, tableaux et installations, les objets de Pascale Marthine Tayou en détournent les attendus en usant de matériaux composites qui, ainsi assemblés, élaborent des formes et des situations complexes. Cet artiste qui aime à dire qu’il « fabrique des trucs » vient plus précisément « truquer » la réalité, ses objets et ses matières les plus courantes pour la porter à l’expérience sous un jour nouveau, reproduisant à travers la création la différence fondamentale et concrète de la « rencontre ».
En « contre » donc avec d’abord cette façade affichant des dizaines d’enseignes lumineuses qui semblent clamer avec joie (et dans de nombreuses langues) que la galerie est fermée. Mais de la même façon que les diodes scintillent au cœur des lettres qui composent le mot « Closed », « fermé » ne signifie en rien « vide » ; au contraire, c’est pleine de vie que la galerie VNH, encore en construction, accueille ses premiers visiteurs. Une contradiction que révèle l’élusion du « d » final ; de fermée (« closed »), la galerie devient proche (« close »). Une réunion des contraires qui augure du parcours à venir. Tout commence avec cinq tableaux monumentaux constitués d’accumulation de craies. Outre la force plastique évidente qui se dégage de ses fresques, ici, c’est l’outil qui devient matériau d’une œuvre. Évoquant tout aussi bien la modernité technologique d’images numériques composées d’éléments isolables que la pratique décorative traditionnelle, assemblage artisanal et soumis à l’aléatoire de pièces éparses.
De la même manière, sa magnifique Fresque de charbon composée de copeaux de bâtonnets de fusain qui, recouverts de projections de silicone blanc, dessine une végétation spectrale, comme née de cendres lunaires. En vis-à-vis, un Arbre de vie, olivier lui-même déraciné décoré de masques non plus sculpté dans le bois mais laissant passer la lumière à travers le cristal dont ils sont faits. L’écrin de ce joyau bien particulier est tout aussi reversant, ou pour le moins renversé : un tuyau de poêle trace au plafond d’inquiétantes zébrures qui découpent la lumière zénithale, tout comme les feuilles de la jungle filtrent les rayons du soleil qui la frappent et, aux murs, des crayons monumentaux aiguisés comme des pieux menacent le visiteur autant qu’ils colorent, de leurs mines peintes, l’espace. L’installation, dans son ensemble, révèle une grande cohérence et un imaginaire qui déjoue les attendus symboliques pour développer un langage instable et loin de la simple didactique.
Tout se précipite alors, l’œuvre de Pascale Marthine Tayou s’insère dans les interstices de la galerie, créant des immenses étagères jouant de la frontière entre œuvre créée et environnement. À la croisée des chemins, plusieurs routes s’offrent au spectateur qui s’enfonce ainsi dans ce dédale avec une joie inquiète. Entre réserve et exposition, les espaces en montrent toujours plus. Il faut reconnaître à la galerie VNH d’explorer tout en même temps les secrets de cet ancien espace mythique, la galerie Yvon Lambert, mais aussi les coulisses d’un lieu d’exposition où les arrière-salles de stockage sont autant de cavernes aux trésors. De l’écrin à l’intervention in situ, Gri-gri multiplie les objets, assemblages ou ready-made accumulés construisant un arrière-fond de kitsh assumé ; les pancartes auto-glorificatrices de publicité pour des produits de consommation courante côtoient des totems qui, déployés vers un plafond qui les condamne, sont devenus piliers. Aux murs, les poupées, dessins et autres panneaux de paille rejouent les figures classiques d’un paganisme emmêlé ; vaudou, autels, totems, icônes, dessins rupestres ou calebasses entassées aux accents de nécropoles mystique, le déferlement d’idoles semble aussi inépuisable que la diversité des êtres vivants. Une lecture universaliste qui rejoint tout à fait l’acception contemporaine de ce fameux grigri, objet intime qui ne nécessite que la croyance de celui qui le garde auprès de lui pour activer son pouvoir.
La poétique douce-amère de Pascale Mathine Tayou fonctionne ici de la plus belle des manières en faisant de chaque œuvre, en silence, un habitat dans lequel on pénètre comme on s’aventurerait dans un intérieur étranger, intrigant mais étrangement familier. À travers cette belle liberté laissée par l’espace, qu’on espère symbolique des expositions à venir de la galerie, c’est donc de rencontre au sens plein du terme qu’il est question, de sa matérialité contondante à son éloge idéal de la différence.
Exposition Pascale Marthine Tayou, « Gri-Gri » du 25 avril au 20 juin 2015, VNH Gallery, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris, du mardi au samedi de 10h à 19h.