Yael Davids — Laboratoires d’Aubervilliers
Les Laboratoires d’Aubervilliers présentent, jusqu’au 16 mai, la première exposition personnelle de Yael Davids en France. En jouant sur l’espace, l’artiste opère un retournement de sa démarche et réactive, de façon inédite, des thèmes essentiels de son œuvre.
« La distance entre V et W — Une exposition de Yael Davids », Les Laboratoires d’Aubervilliers du 13 mars au 16 mai 2015. En savoir plus Fruit d’un travail de réflexion mené durant sa résidence aux Laboratoires, « La Distance entre V et W » est parcourue de la somme d’expériences menées avec le territoire (séances de lecture, ateliers d’écriture, cours de feldenkrais1) qui résonnent en secret avec cette installation qui fait le choix du silence. Sans un mot, Yael Davids explore les questions qui animent son œuvre depuis près de vingt ans ; le territoire, la frontière et l’espace d’identité. De la mise en scène et de la contrition des corps dont elle jouait régulièrement, l’artiste conçoit ici une installation autonome qui ne se voit pas accompagnée de performance. Au sol, une mare noire semble avoir envahi la pièce ; entre l’épaisseur de l’argile qui la compose, la légèreté du verre et la chaleur du bois qui y sont incrustés, cette étrange masse horizontale redistribue l’espace. De ces matériaux qu’elle expose régulièrement à la vue sur cimaises, l’installation devient ici une présence plus complexe, qui s’impose de manière sourde sans laisser voir ce qu’elle est véritablement. Pensé comme une route, cette étrange cartographie imaginaire repousse pourtant le spectateur à son alentour ; sans prise sur l’œuvre, il devient le témoin impuissant d’une géographie sauvage, qui possède ses propres règles.Variation de la pratique du feldenkrais, qui pousse les participants à user de leurs corps de manière inattendue à travers la simple évocation de mouvements par le praticien qui les guide, mais aussi écho à l’histoire même de l’artiste, qui a grandi dans un kibboutz israélien et mené depuis ses travaux autour de la perception forcément subjective d’un territoire, pourtant rationalisé par sa cartographie. Un paradoxe dont la violence se manifeste à travers le matériau employé, le verre. D’abord dans sa forme dont les découpes triangulaires, qu’elle emprunte à Carl André, dessinent des angles contondants, des frontières aiguisées comme des armes. Des formes qui se retrouvent étrangement dans le titre de l’exposition, La Distance entre V et W. Initialement prévu pour évoquer la différence entre Simone Veil et Simone Weil, philosophe et femme d’État dont l’homophonie a pu nourrir les assimilations imaginaires, mais qui semblent ici bien plus évoquer les lettres les plus pointues, formes symboliques d’une violence ou, à tout le moins, d’un danger inhérent au langage.
Dans sa nature même ensuite, cette épaisseur transparente qui, si elle laisse voir ce qu’elle isole, n’en demeure pas moins une barrière infranchissable Référence ici aussi à son kibboutz natal qui a vu se transformer l’industrie locale de verre en spécialiste de vitres blindées. C’est ce même verre qui va constituer l’essentiel d’une structure de bois inspirée d’un « meuble à aquarelles » de Gustave Moreau fait de panneaux mobiles qui servait aussi bien au rangement qu’à la monstration de ses œuvres. Mais ici, les panneaux de verre sont vides et seules quelques carafes et verres, glanés lors de sa résidence aux alentours des Laboratoires, sont exposées dans cet écrin. Ces objets chargés d’une mémoire qu’on ne connaîtra jamais, éléments manipulables par excellence, se voient ainsi dépouillés de toute fonctionnalité, de tout moyen de préhension pour se constituer prisonnier de ce dispositif semblable à un cabinet de curiosité défendu. Une ultime façon d’entendre cette Distance entre V et W, les objets issus de quotidiens d’anonymes deviennent des allégories que Yael Davids prend d’autre part le soin de représenter, en préambule de l’exposition, au moyen de natures mortes. En cela, cette distance évoquée est peut-être celle, aussi, de la transformation du « V » au « double V », de l’ajout d’une dimension par l’adjonction d’une nouvelle mémoire2.
Avec cette installation forte, Yael Davids dessine donc une exposition en creux, où les vides sont autant d’abandons conscients, d’amputations du sens qui laissent émerger une étrange inquiétude, celle d’une histoire qui, à défaut de s’y confronter, de s’y heurter même, se joue sans nous autant qu’elle semble en appeler à notre implication.
1 Méthode de relaxation du corps autour de la pratique de « mouvements inattendus » et de leur conscientisation.
2 Un symposium « en forme de conte » est prévu pour clôturer l’exposition le 16 mai 2015, La Diaspora des objets qui explorera les mouvements géographiques d’objets porteurs d’histoires personnelles et intimes.