Arin Rungjang — Maison d’Art Bernard Anthonioz, Nogent-sur-Marne
Inscrite dans le cadre de la programmation Satellite du Jeu de Paume, l’exposition Mongkut , imaginée par l’artiste Arin Rungjang explore la possibilité d’une création artistique comme mode de résistance à une histoire, à un discours officiel.
Inscrite dans le cadre de la programmation Satellite du Jeu de Paume, l’exposition « Mongkut », imaginée par l’artiste Arin Rungjang explore la possibilité d’une création artistique comme mode de résistance à une histoire, à un discours officiel.
« Arin Rungjang — Mongkut », La MABA du 19 mars au 17 mai 2015. En savoir plus De sa Thaïlande natale (dont il fut le porte-drapeau lors de la Biennale de Venise 2013), Arin Rungjang dévoile un pan historique et spirituel en concentrant sa recherche autour de la forme sacrée de la couronne du royaume du Siam. Terreau d’échanges avec les empires britanniques et français, cette partie de l’Asie fut l’une des plus riches du continent, une situation privilégiée qui lui permit d’échapper au colonialisme occidental. Alors connu en Occident sous le nom de roi Mongkut, son dirigeant Rama IV fait réaliser deux copies de sa couronne et les offre à ses partenaires britannique et français. Partant de ce geste fort qui signait une alliance aussi symbolique que stratégique pour la région, Arin Rungjang déploie un parcours qui, revenant sur sur cette période de l’histoire, tente de forcer le questionnement en faisant reproduire, à son tour, cette couronne sacrée, dont l’originale est scellée dans un temple inaccessible aux Thaïlandais. À travers un développement didactique, l’exposition va ainsi révéler l’enjeu et les modalités de fabrication d’une nouvelle copie de cet objet dont l’absence fait l’essence.Une première vidéo s’attache à explorer le château de Fontainebleau qui en possédait, jusqu’il y a peu1, un exemplaire, pendant que le conservateur du musée Guimet revient sur les relations historiques de la France avec le royaume du Siam. Tandis que l’on parcourt les allées du musée, un jeune homme braque sur la couronne un scanner 3D, permettant d’en constituer une réplique numérique fidèle. Vol, appropriation ou conservation, l’acte, réalisé à la dérobée questionne d’emblée les modalités de la reproduction. Copie de copie, le modèle obtenu n’est qu’une image, mais il tient en lui-même les plans d’une possible reproduction du sacré.
C’est pourtant par une tout autre méthode qu’Arin Rungjang parviendra à ses fins. Au cours de la seconde vidéo, c’est à une maître artisan d’art que l’artiste va confier la création de sa couronne. Les gestes, précis et complexes, s’enchaînent sans temps mort tandis que la femme qui les exécute revient sur son histoire, celle de son pays et celle de son art. Car ici, l’histoire rejoint l’art de la scène ; spécialisée en création de couronnes de théâtre, cette descendante du roi Mongkut reproduit la couronne de la même manière qu’elle réalise son travail quotidien. Un parallélisme qui fait subtilement écho à la démarche de l’artiste lui-même, qui « met en scène » et expose sa recherche. L’artisanat devient alors un objet de création et ces gestes qui s’enchaînent avec la précision d’une pratique ancestrale se font hypnotiques. Face à cette réappropriation, par la tradition, de l’acte de reproduction, symbole de nos sociétés industrielles modernes, la question du modèle 3D resurgit. Arin Rungjang confronte l’authentique avec la copie, brouillant les frontières en abandonnant son modèle 3D pour voir l’artiste réaliser, tout comme cela aurait été fait à l’époque, un ersatz original.
Il faut ainsi attendre la fin de l’exposition pour apercevoir cette fameuse couronne, trésor d’artisanat dont les détails et l’ingéniosité fascinent. Mais, seule dans cette grande salle, sa majesté paraît presque écrasée par l’espace ; d’objet sacré, la couronne devient œuvre déconstruite et presque commune, révélée aux yeux de tous dans sa plus simple réalité. Un double mouvement de l’artiste qui parvient à faire de ce symbole du pouvoir chargé d’une aura divine, un objet en quelque sorte réifié après un voyage passionnant à travers ses origines. Et, sans la limiter à son modèle rationalisé en trois dimensions, maintient malgré tout une forme de magie de l’aléatoire, un soupçon d’humain au cœur de la création.
Un mélange des genres inattendu qui témoigne de la méthode singulière de l’artiste ; forcer l’histoire par une multitude d’angles qui en finissent avec sa lecture univoque. Méthode qui reflète parfaitement ce parcours dépouillé, presque austère mais dont les vides sont autant de possibilités d’intelligence à s’approprier, tout en en révélant un pan qui marque durablement.
1 Il s’agit précisément d’une des pièces dérobées au musée lors du cambriolage survenu le 1er mars 2015.