Chloé Quenum — Galerie Joseph Tang
Avec son installation Châtaignes au cœur de l’espace intimiste et charmant de la galerie Joseph Tang, Chloé Quenum offre une réflexion en mouvement sur ses recherches en cours et sa confrontation personnelle à un contexte étranger, en Nouvelle-Zélande au sein d’une résidence qu’elle y mène.
Au sol gisent de nombreux fruits enveloppés de cuirasses d’argile brisées qui épandent dans toute la galerie une poudre ocre qui n’est pas sans évoquer le tan de la châtaigne, cette pellicule qui en enveloppe la graine. Comme tombés d’arbres imaginaires, ces fruits ont trouvé, dans la chaleur du feu, la formation initiale de leur coque protectrice, un pied de nez à la consommation courante du marron chaud, passé précisément par le feu pour en extraire le cœur. Un retournement premier qui ne fait qu’amorcer les renversements à l’œuvre dans cette pièce de Chloé Quenum.
Ces éléments épars et simples, dans leur profusion, constituent la matière d’un vocabulaire plastique de l’échange et de la communication. Une histoire s’écrit, se rature et déroule son fil narratif dans ses accidents, ses correspondances, ses différences entre les pièces présentées, totalement brisées, laissant apparaître uniquement les fruits qui les composent ou au contraire presque intacts, encore protégés. Si leur ordre apparaît d’abord anarchique puis aléatoire pour enfin se révéler nécessaire, dans leur fragilité même.
Car sourd ici une confrontation essentielle des regards sur l’art ; une vision traditionnelle des beaux-arts et un enjeu plus conceptuel et contemporain se rencontrent en miroir avec la confrontation des signes classiques de la nature morte et l’appropriation, l’installation et la mise à disposition de ces éléments dans l’espace. Une perspective qui fait écho au propre ressenti de l’artiste au cours de sa résidence en Nouvelle-Zélande. Sous ses dehors de désert imaginaire, peuplé seulement de fruits battus par les vents, Chloé Quenum invente un paysage qui associe techniques et stigmates de la tradition pour les faire vivre dans l’espace, pour actualiser en quelque sorte la geste artistique, la livrant avec une évidente générosité et loin de la sécheresse théorique, au regard et à l’expérience de chacun. C’est bien la nature morte qui ressuscite ici ; d’abord à travers l’intervention du public, invité, lors du vernissage, à manipuler ces fruits et à ouvrir des brèches dans leur coque. Dans l’émergence ensuite, par endroits, de soubresauts d’une vie intérieure de l’organique, des pousses s’échappant de certains fruits prisonniers. L’acte initial, la couverture d’argile devient une coque de protection attendant une seconde éclosion, ce qui cache devient ce qui assure la protection et s’efface, s’élime le temps venu.
Au mur, une toile est recouverte de motifs secrets, griffonages élémentaires qui sont autant de motifs de communication sans mots, d’indications qui, en contexte, deviennent vecteurs de partages conceptuels. Sous la simplicité, Chloé Quenum explore et souligne la capacité de chacun à échanger, élargit la notion de communication bien au-delà de langues tout en conservant sa part d’incertitude continuelle, à l’image du motif qu’elle reproduit sur des fonds de couleurs différentes. Une main desinée fait se rejoindre index et pouce dans un geste polysémique. S’agit-il d’un signe de ralliement, d’une préparation à un claquement de doigt, une invitation à diriger son regard sur une cible précise ? Le cœur qui flotte à ses côtés renforce le doute, il pourrait lui aussi être tenu par un fil relié à ces doigts, flottant au vent. Sans réponse, le visiteur est ainsi invité à déambuler entre ces signes, à l’écoute de cette économie du « peu ».
Ce mélange de création plastique, de jeu sur l’histoire, d’éléments microlocalisés et de mise en espace évoquent également l’importance de la danse, du mouvement dans le travail de cette artiste qui crée chaque fois des « parcours » à expérimenter, amenant des chorégraphies involontaires dans les stratégies de contournement et d’attention du spectateur face à des pièces obstacles. La délicatesse, la subtilité et la précision de sa démarche lui permettent de révéler une profondeur biographique qui la rend encore plus vivante et pétrie de justesse. On entre ainsi avec simplicité dans un véritable monde qui doute, par touches de questions autant que par choix d’affirmations, dans une réflexion vivante qui se donne les moyens plastiques de s’étendre et de s’offrir à tous.
Chloé Quenum, Châtaignes, du 23 mai au 13 juillet, galerie Joseph Tang, 1 rue Charles-François Dupuis, 75003, Paris, du mardi au samedi de 11h à 19h