Gordon Matta-Clark — Jeu de Paume
Organisée en coopération avec le Bronx Museum of the Arts, le Jeu de Paume présente jusqu’au 23 septembre 2018 une grande rétrospective sur le travail de celui qu’on appelle justement l’anarchitecte, Gordon Matta-Clark. Totalisant une centaine d’œuvres (photographies, films et dessins), l’exposition offre une belle occasion de se plonger à corps perdu dans l’univers de cet artiste de la soustraction.
« Gordon Matta-Clark — Anarchitecte », Jeu de Paume, Concorde du 5 juin au 23 septembre 2018. En savoir plus Pensé de façon très simple et chronologique, le parcours de l’exposition commence par un motif qui habite toute l’œuvre de Gordon Matta-Clark : la ruine. En iconographe et observateur averti de ce motif — qui abrite une panoplie de formes du champ lexical du débris — il s’attaque dès 1972 à la collecte photographique de murs (Walls) et de papier peint . Arrachés à des bâtiments en cours de destruction dans le Sud du Bronx, alors désertés pour les banlieues, ces fragments deviennent l’objet d’une recherche obsessionnelle pour cet artiste qui deviendra par la suite le paysagiste de l’architecture abandonnée. Dommage que cette exposition ne nous permette pas de découvrir le livre d’artiste Walls Paper (1973, tiré à 1000 exemplaires) qu’il avait réalisé sur cette série de photographies.On connait l’extrême fragilité du papier et la difficulté de sa conservation mais consulter les livres d’artistes devient néanmoins une proposition trop rare dans les grandes institutions. Par un jeu éditorial digne de la subtilité d’un livre d’Ed Ruscha, l’ouvrage Walls Paper reprend les grands principes et codes esthétiques que l’artiste met en place dans son art à grande échelle. Les photos recolorées de papier peint sont disposées dans une mise en page qui favorise les correspondances ; imprimées sur des pages découpées en deux à l’horizontal, les images évoquent autant la grandiloquence des Splitting qu’elles incitent à un jeu de cadavre exquis presque infini.
L’exposition nous rappelle — grâce à de nombreux collages d’images argentiques et de films 16mm à la désuétude puissante — que Matta-Clark incarne le symbole d’un sculpteur de l’urbanisme dystopique qui a réussi à systématiser et dompter les codes d’un monde en chute. Deux vidéos témoignent des actions monumentales et in situ que Gordon Matta-Clark a réalisées aux Etats-Unis et à Paris en 1975. Une place importante est laissée à son projet Conical Intersect, créé pour la 9e Biennale de Paris. L’œuvre, réalisée sur deux immeubles du XVIIe siècle voués à être détruits pour faire place à ce qui est devenu le quartier des Halles-Beaubourg, est une découpe immense en forme de cône. Les dessins qui accompagnent la vidéo percent à jour les rouages de l’art de Matta-Clark ; un travail qui reprend la minutie du génie civile pour optimiser les imperfections de la destruction.
L’exposition Anarchitecte témoigne ainsi avec une certaine retenue scénographique du phénoménal travail de chirurgien du paysage de Gordon Matta-Clark. Dans une vision innovante et créative du territoire en élévation qui s’inscrit dans le contexte du land art, il ouvrit grâce à ses découpages de nouvelles perspectives sur la ville. Une démarche d’ouverture symbolique qui incarne les grandes préoccupations esthétiques, sociologique et conceptuelle de l’artiste.