Dorothée Smith — Galerie Les Filles du Calvaire
Deux étages d’une exposition suffisent parfois à monter de toute pièce un décor psychique, à échafauder un univers qu’il est ardu de quitter. C’est le cas de l’exposition de Dorothée Smith à la Galerie des Filles du calvaire.
« Smith — Spectrographies & Traum », Galerie Les filles du calvaire du 5 au 27 février 2016. En savoir plus Ici, au premier niveau, défilent sur les murs des photographies thermiques. Là, une femme sans visage, ou plutôt au visage blanc. Par l’effet de la température du thermogramme, le modèle semble porter un masque. On pourrait voir dans ce portrait une mise en évidence, une parabole même, du propos tenu dans ce parcours : le masque porté par chaque individu ne tombe jamais, à moins qu’une intimité déchirante ne prenne la place du vide. Dorothée Smith, pour combler ce vide, s’est fait implanter, l’histoire est vraie, une puce afin de pouvoir ressentir la chaleur et les imperceptibles mouvements de l’être aimé. Pour abolir l’insoutenable distance à l’autre, cette puce qui tient de la science fiction. Une belle fiction.Celle-ci est présente dans l’exposition, sous verre, comme gage de réalité. Peu à peu, tout s’éclaire, Dorothée Smith photographie dans une quête de peau, de chaleur, de présence. Et s’ils n’ont pas de visage, c’est parce qu’ils sont ici réduits à leur température. Si le sang circule en eux, alors ils apparaîtront sur la pellicule, ils auront une place et leur enveloppe charnelle nous touchera. Son film, Spectographies, présenté en vis-à-vis, à regarder de bout en bout (une heure) raconte cette même histoire : comment, touché par quelqu’un, survivre à sa disparition ? Comment garder le souvenir intact de la peau, de la tiédeur d’un corps lorsque celui-ci s’émancipe dans un ailleurs que le nôtre ? Il n’y aura pas de réponse. On continuera, plus haut, au deuxième étage, à découvrir l’énigmatique et triste histoire de Yevgeni (opérateur de lancement d’astronef) et de son ami Vlad. Le premier, atteint de narcolepsie, a causé la mort du second, en s’endormant aux commandes d’une navette. Le sommeil comme cause mortelle, voici un sujet pour Smith, hantée qu’elle est par les fantômes, les spectres.
Se déploie dans cette tragédie une idée terrifiante et belle: si je ferme les yeux, tu meurs. Comme en amour, où l’on existe par et dans le regard de l’autre et disparaît sans lui.