Erwin Blumenfeld — Jeu de Paume
D’Erwin Blumenfeld, on connaît surtout sa période dédiée à la photographie de mode. Le Jeu de Paume choisit de cantonner cet aspect à une seule et unique salle de sa rétrospective, aux côtés d’autres pièces vouées à exhumer d’autres pans de sa carrière pléthorique moins connus et même inédits, tels que photomontages, dessins, collages. Un parcours qui fait place à toute la modernité de son œuvre pour un résultat grandiose.
« Erwin Blumenfeld (1897-1969) — Photographies, dessins et photomontages », Jeu de Paume, Concorde du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014. En savoir plus Tout, dans la trajectoire d’Erwin Blumenfeld relève de l’extraordinaire. Chance ou génie, il traversa en tout cas l’histoire avec une aisance désarmante. D’abord, il commence à se photographier alors qu’il est tout jeune écolier. Puis, devenu commerçant de sacs à Amsterdam dans le prêt-à-porter, il prendra pour modèles les femmes du magasin. Arrivé à Paris, il rencontre la bonne personne au bon moment, Cecil Beaton, grand photographe britannique qui lui négociera un contrat pour le magazine Vogue, dès son arrivée dans la capitale en 1936. En 1941 alors qu’il est interné, il réussit à s’échapper des différents camps et à se sauver pour les Etats-Unis… Chance donc. Mais aussi génie.La commissaire de l’exposition résume cela à merveille dans cette interrogation : « Comment un jeune homme fantasque de la bourgeoisie juive de Berlin, apprenti dans la confection pour dames, a-t-il pu devenir un photographe de mode et de publicité prisé du Nouveau Monde, qui plus est le mieux payé de son temps ? Comment le propriétaire d’un magasin de sacs à mains d’Asmterdam a-t-il réussi à devenir l’une des figures les plus célèbres de la scène artistique new-yorkaise des années 1950 ?» La réponse est plurielle mais s’il fallait tenter d’expliquer un tel succès, il faudrait d’abord se tourner vers une drôlerie et un sens de la fantaisie hors pair qui ne le quittèrent jamais. Ses autoportraits sont malicieux, de ses yeux inquiets et rieurs, il capte l’attention dans une mise en scène où il s’amuse. Ses dessins, de même, sont souvent des pochades humoristiques.
Autre point, Blumenfeld s’adapte et s’inscrit en cela dans les avant-gardes jusqu’à les provoquer. Il commencera en noir et blanc mais dès qu’il aura accès à la couleur, s’en servira quitte à conserver l’aura expérimentale de ses clichés de l’Entre-deux-guerres. Moderne, il le fut en tout point. Jusque dans son engagement politique qui lui fit signer son plus célèbre portrait d’Hitler (Gueule de l’horreur, 1933) pour lequel il superpose l’image d’un squelette de crâne au visage du Fürher. Blumenfeld est juif, certes, mais ce n’est pas ici sa religion qui parle, c’est encore une fois son humour et sa grande clairvoyance. De la même façon qu’il portera une tête de veau (une vraie…) pour son portrait intitulé The Dictator. Tête de veau ou squelette, voilà l’imaginaire fort et saugrenu d’Erwin Blumenfled qui sait également jouer les grands professionnels face à des mannequins sur la tour Eiffel. Une femme joue avec les plis de sa robe en haut de l’édifice, elle n’a pas peur du vertige car elle danse sous l’oeil protecteur d’Erwin. Gracieux, courtois, habile, demandé par tous, adulé mais d’une modestie rare. Alors qu’il signe des images d’une forme révolutionnaire (The Picasso Girl) et qu’il fait passer pour datées et pauvres les photographies de mode actuelle, il reste persuadé d’être dans la norme et de ne faire que son « travail ». Or, non, déjà dans les années 50, il avait plusieurs longueurs d’avance sur les années 2000 sans jamais tomber dans la forfanterie.