Genevieve Gaignard — Galerie Praz-Delavallade
La galerie Praz-Delavallade nous propose, du 17 mars au 28 avril, une plongée dans une Amérique profonde avec pour guide Genevieve Gaignard, photographe et protagoniste de ces cartes postales douces amères.
« Genevieve Gaignard — Hidden Faces », Galerie Praz-Delavallade du 17 mars au 28 avril 2018. En savoir plus Depuis près de quatre ans, Genevieve Gaignard, formée à la photographie dans la prestigieuse université de Yale (entre autres), se met en scène dans des compositions hautes en couleurs où burlesque et gravité s’entremêlent pour déjouer les stéréotypes et attendus sociaux. Elle-même fille d’un couple « mixte » au cœur d’une Californie marquée par les tensions « raciales », elle interroge sa propre condition et les questionnements qui ont émaillé son adolescence en matière de construction identitaire. Avec une esthétique bonbon où le kitsch joue de concert avec la sobriété des années 1950, son univers emprunte autant à la culture d’opulence populaire américaine et à la photographie objective du XXe siècle mais aussi à la drag-culture et à l’euphorie du travestissement.Avec Hidden Faces, la galerie Praz-Delavallade donne une vitrine passionnante à une artiste singulière qui dévoile un regard émouvant et ambigu sur la société américaine. Au centre de toutes ses photographies, le corps de l’artiste apparaît grimé, travaillé par les motifs sociaux, jouant régulièrement des personnages différents, de la diva des boîtes de nuit à la riche propriétaire désabusée, les personnages se succèdent dans des environnements déserts où les éléments font sens ; magasin à prix cassés à la façade recouverte d’un drapeau américain, canapé éventré abandonné dans la nature ou pavillon traditionnel de banlieue. Chaque série démontre l’implication et la détermination d’une artiste qui ajoute une véritable gravité à ces images semblant sortir tout d’un imaginaire tortueux. Un imaginaire que l’on retrouve dans les sculptures et installations de l’artiste, des agrégats d’objets kitschs qu’elle encadre et fixe sur des toiles en y glissant régulièrement ses propres photographies. De même, Genevieve Gaignard reconstitue à l’échelle des intérieurs où précision et méticulosité se conjuguent au mauvais goût et trahissent un affect sentimental de l’objet qui engonce l’étranger autant qu’il rassure son inventeur.
Ici, Gaignard apparaît successivement comme une femme active des années 50, une auto-stoppeuse égarée aux abords d’un échangeur, une « truckeuse » affublée d’un « Wife-Beater » (littéralement un « cogneur de femme », nom que l’on donne aux tee-shirts sans manches) accolée à une machine à glaçons, une vamp mystérieuse devant un coucher de soleil, une baigneuse, une femme blanche en couple avec un homme noir ou encore en résidente « middle class » de banlieue. Dans cette exposition, Genevieve Gaignard joue sur la sobriété et propose un accrochage d’une trentaine de miroirs à manches qui nous projettent, à notre tour, au sein de ce monde qui nous fait face. Outil traditionnel dans la fabrique de la « séduction », il est lui-même, à travers ses formes, ses couleurs, un objet de désir qui se mue en motif propice à éveiller l’imaginaire. En vis-à-vis se révèle une installation constituée d’un papier peint à motifs floraux qui accueille une photographie ainsi qu’un présentoir à colliers constitué de deux mains. Oscillant entre totem, gri-gri et autel consacré à ses propres bijoux, ce dernier, malicieusement nommé Adornment (Tupac) en référence à la figure du rap « bling-bling », acquiert une force plastique qui défie la symbolique de ces paumes ouvertes mimant le don. Au pied du mur, une paire de chaussures abandonnée fait écho à la même paire visible dans la photographie.
À leur manière, ces installations sobres dessinent un kaléidoscope culturel où les temporalités, les géographies, les formes de domination et d’émancipation se croisent en silence et nous placent face à une synthèse familière qui, transposée dans l’espace d’exposition, brouille les repères. Une synthèse qui se lit dans le triptyque central qui voit l’artiste entourée de deux jeunes femmes noires, les trois portant un foulard noué sur la tête. Au centre, Genevieve Gaignard regarde dans une direction opposée aux deux autres, mimant le doute, l’incertitude d’y avoir sa place. L’une des questions centrales de son œuvre, la place de l’identité noire pour cette femme à la peau claire se voit ainsi abordée avec autant d’élégance dans l’esthétique que d’humour et de drôlerie dans le décalage que véhicule son corps, non pas par ses propriétés essentielles mais par son attitude, ce doute qui devient ici une aberration.
D’une efficacité redoutable, le monde visuel de Genevieve Gaignard articule les émotions en jouant avec malice sur la familiarité, le grotesque, la gravité et l’urgence d’en finir avec les images figées et autres jugements catégoriels. Plus encore, elle s’empare des codes contemporains de la communication en établissant un lien plastique entre photographie moderne et tentation contemporaine de soi, multiplication d’autoportraits universels devenus l’un des sujets principaux de réseaux censés être « sociaux ». Sans se parer des atours d’une technicité exacerbée, Gaignard maintient une véritable simplicité dans sa démarche, où la spontanéité et l’aléatoire n’empêchent pas d’articuler un propos qui engage à repenser la place que chaque personnage occupe, autant que celle que chacun aménage, à l’autre.
Genevieve Gaignard, Hidden Figures, exposition du 17 mars au 28 avril, galerie Praz-Delavallade, 5 rue des Haudriettes, 75003 Paris, du mardi au samedi de 11h à 19h