La Fabrique de l’esprit — Fondation Francès, Senlis
Pour illustrer son programme d’histoire de l’art (La Fabrique de l’esprit : du regard à l’expérience), la Fondation Francès de Senlis (Oise) expose sur ses deux étages une sélection d’œuvres inédites de sa collection.
« La Fabrique de l’Esprit® — Du regard à l’expérience », Fondation d'entreprise Francès du 23 février au 8 septembre 2018. En savoir plus Conçue comme une traversée contemplative, l’exposition oriente notre regard vers des passerelles — parfois spontanées, parfois subtiles ; pour petits et grands — entre les œuvres et certains courants de l’histoire de l’art. Une attention particulière est portée à la matière corporelle et à la représentation du corps. Cet élément majeur de l’exposition est également présent dans l’impressionnante collection de la Fondation Francès qui ouvrit ses portes en 2008 sur le dialogue mortuaire de Jeffrey Silverthorne et Andres Serrano.Le corps et son hybridation : une thématique poignante à aborder avec son public quand on voit les œuvres que la fondation a à proposer entre ses murs. Disposées pêle-mêle mais toujours adroitement associées, certaines sculptures traversent les espaces pour se retrouver et hantent notre psyché. Le premier regard du visiteur vient sûrement se poser sur une forme de vie scellée et qui semble en mutation de Berlinde de Bruyckere. Interrogatif quant à la matière et la circonscription du corps à l’œuvre, notre oeil appréhende la sculpture comme pour recomposer le vide manquant. La sculpture en question, Glassdome with Cripplewood II, est composée de matériaux divers (cire, bois, époxy, polyester et tissu) enfermés sous une cloche de verre. Son écho s’entend et se répète — comme la voix d’une créature chimérique issue des calculs approximatifs d’un savant fou — dans la sculpture Salagrama de Nicola Samori.
La tragédie du corps — marbré, nervuré, contrit — peut être comparable à celle du groupe du Laocoon dont les amputations faites par le temps se sont imprégnées dans le matériau que l’artiste contemporain façonne ici. « La violence de ses tourments, […] imprimée sur chaque muscle » dont parle l’historien Johann Winckelmann1 à propos du groupe sculpté antique semble ici avoir subi de nouveaux rouages du temps et s’effondre sur lui-même. Le pli devient trou noir et orifice, un vortex de formes inquiétantes et libidinales. Cette déchéance de la matière corporelle est au cœur de la peinture de Jean Rustin, Femme sur un lit (1985-1986), présentée dans une pièce-bureau lumineuse à l’étage. L’œuvre est petite (30 × 40 cm) et accrochée en hauteur, à l’abri d’un regard panoramique dissipé (et enfantin).
Un placement et un format iconique qui dévoilent le corps évanescent d’une femme qui — les jambes écartées — nous offre à voir son sexe. Une avalanche de couleurs du lexique de la chair délivre le comportement orgasmique et solitaire d’un corps qui s’efface. Car si le sexe — frontal et central — est net et dans toute sa vérité, la perspective de l’œuvre délivre une vision partielle du corps allongé. Une vision brutale qui évoque, en outre, l’atrophie des personnages de Francis Bacon, dont les membres semblent amputés et la présence fugitive.
La mise en scène du corps dans l’espace et dans le temps (celui de l’histoire de l’art) : une problématique parmi tant d’autres d’une expérience tout public qui dévoile une des nombreuses facettes de la collection de la Fondation Francès.
1 Réflexions sur l’imitation des artistes grecs en sculpture et en peinture, publié en 1755.