Ma Desheng — A2Z Art Gallery, Paris
La galerie A2Z présente une nouvelle exposition personnelle de Ma Desheng, figure historique de la scène avant-gardiste chinoise, il fut l’un des fondateurs du groupe « Les Étoiles » qui, au sortir des années 1970, se libérèrent des carcans d’un art officiel contrôlé.
« MA Desheng — Entre ciel et terre », A2Z Art Gallery du 17 mars au 21 avril 2018. En savoir plus Poète, peintre et sculpteur, militant opposé au régime maoïste, cet artiste chinois installé depuis plus de trente ans à Paris brise les attendus et les conservatismes. Empreint de liberté, d’audace, mêlé de traditions et ouvert sur le monde de par ses influences internationales, l’art de Ma Desheng multiplie les paradoxes pour évoluer sur le fil, en un équilibre suspendu où figuration et abstraction se conjuguent en des compositions vibrantes. Fortement marquée par son histoire personnelle, la démarche de ce peintre et sculpteur qui clamait sa liberté, dans les années 1970, à travers de novateurs autoportraits, subira une inflexion majeure à la suite d’un accident qui le verra contraint de quitter une scène artistique durant plusieurs années. Ce drame personnel, couplé à l’atteinte à son intégrité physique modifie en profondeur sa pratique. Sa peinture se reconstruit alors autant qu’elle reflète cette fêlure majeure, faisant de la pierre, cette concrétion naturelle qui lie la surface de la terre au cosmos, l’un des motifs récurrents de sa création. Dans une grammaire visuelle qui emprunte autant à la tradition taoïste, à la peinture moderne et même à l’illustration, ses tableaux dégagent une force sourde qui multiplie les niveaux de lecture sans jamais imposer l’univoque. Ses pierres sont tantôt marquées de leur brutale simplicité, tantôt furieusement évocatrices, empilées en un jeu de construction qui invente son propre équilibre, débarrassé des contraintes de la gravité pour se plier à d’autres lois. À travers ce motif, c’est l’horizon du monde qui se coule dans les œuvres de Ma Desheng, reconstruisant, pierre après pierre, l’ensemble sensible d’une histoire singulière. Montrés pour la première fois dans l’exposition Entre ciel et terre, qui évoque à son tour le lien entre notre gravité et l’immensité d’un univers peuplé de concrétions minérales, ses dessins développent cette ligne en proposant des œuvres à la simplicité foudroyante, évoluant d’image en image vers une apothéose figurative.Cette série contraste avec la précision méticuleuse de sa peinture. Ici, le feutre semble porté par des mouvements aériens, laissant respirer avec grâce la feuille qu’il noircit. Plus que jamais alors, il est question d’équilibre, un saut sans filet, sans retouche possible vers la figuration. Au sein d’îlots formés d’une simple ligne, la pointe de Ma Desheng fait émerger les volumes à traits vifs, expulsant des compositions en apesanteur que son esprit rééquilibre en y glissant des pierres obliques, soutiens imaginaires de structures impossibles. À la manière du « miracle » de l’homme, souffle au sein de ces totems minéraux une multitude d’âmes. De simples réunions de cailloux initiaux nous entraînent, au gré des variations, jusqu’aux corps majestueux de femmes golems, images lourdes de leur gravité de corps mondes qui trahissent une sensibilité exacerbée. Des pierres malicieuses qui retranscrivent les lignes de vénus gigognes, cachant en leur sein une vie qui sourd, un magnétisme appelant nécessairement à l’autre. Légèreté du trait acrylique d’un feutre, concrétude pesante du bronze pour en repenser les traits, la pierre devient le vecteur d’une sensualité inédite, charriant dans ses lignes la vibration du désir, la détresse du spectateur esthète face à la beauté hypnotisante de la nature.
De la poésie abstraite et pudique des assemblages minéraux percent par éclats des formes prosaïques qui imposent des ruptures de tons et de rythmes qui témoignent d’une fertile inventivité et d’une certaine facétie particulièrement touchante. La femme, l’enfant, la sexualité et l’équilibre du monde sont ainsi lancés dans un carrousel de formes qui les fait se rencontrer, se répondre ou s’opposer, avec cette tentative constante d’en préserver, voire d’en réinventer l’équilibre. En vis-à-vis de ces dessins se dressent des bronzes monumentaux qui exorcisent ces images en volume, mais là encore avec une belle singularité qui continue de nous en dire plus sur cet artiste poète. Retrouvant, à travers le bronze, la minéralité, il réplique, en les figeant, les anfractuosités dessinées par le temps et l’érosion, leur imposant, dans cette altération de la matière, une nouvelle temporalité. Si l’on peut y voir des allégories du couple à l’enfant, des corps enlacés ou de simples bustes, l’absence de titres autorise une liberté concrète du regard et ces assemblages se parent dans l’imaginaire de symboles multiples.
En ce sens, Entre Ciel et terre se donne comme une exposition profonde où la méditation silencieuse fait corps avec le désir tangible, où le souffle invisible de l’esprit habite la matérialité brute. Au-delà des paradoxes, Ma Desheng prouve une fois encore sa capacité à tenir en équilibre des éléments dont il résout, à travers sa figuration poétique, la contradiction pour lui opposer une sobre et vivace beauté.