Vincent Bioulès — Galerie La Forest Divonne
Figure majeure de l’art français depuis la seconde partie du XXe siècle, Vincent Bioulès, d’abord attaché au mouvement Supports/Surfaces dont il fut co-fondateur et qu’il quittera rapidement, n’a depuis cessé d’affirmer sa liberté à travers une peinture mêlant abstraction et figuration, offrant un corpus d’œuvres singulières, parfois presque contradictoires, qui ne manquent pourtant pas de faire écho à une pensée de la représentation toujours en mouvement.
« Vincent Bioulès — Au dedans et au dehors », Galerie la Forest Divonne du 8 mars au 12 mai 2018. En savoir plus De la radicalité formelle de ses aplats de couleurs de jeunesse à la chaleur luxuriante d’intérieurs garnis de ses dernières années, une vie de travail et de questionnement a forgé un lien unique toujours opérant dans sa peinture. Se confronter à l’œuvre de Bioulès c’est ainsi d’abord faire l’expérience du doute. Dans ces mondes irréels, bien souvent déserts, le temps semble comme suspendu, partagé et figé dans son épaisseur. « Où » et « quand » se confondent au « si » même de l’existence de tels décors.Composée exclusivement de pièces récentes, cette très belle exposition organisée à la galerie La Forest-Divonne nous rappelle à cette ambiguïté fondamentale d’un artiste dont le plaisir de la matière peinture égale celui de la ligne figurée, dont la méticulosité de la technique répond au délice de la représentation. Au-dedans / Au dehors, une dualité assumée jusque dans le titre de cette présentation qui voit ainsi des modes de composition et techniques différentes se répondre, avec toujours cette façon unique de couvrir la lumière, de faire de celle-ci une matière sensible, que l’on évoque ses paysages ou ses intérieurs.
Les lignes, la manière dont la nature semble se dérober à nos regards semblent pourtant jumelles, comme une grille mentale qui dirigerait et composerait elle-même le paysage. Une fenêtre en quelque sorte, ce motif récurrent de son œuvre qui est, là encore à comprendre de manière aussi figurative que conceptuelle, cette fenêtre qui s’affirme soit par sa centralité dans la composition, soit par son absence et par sa manière de la signifier en filtrant la lumière qui la traverse.
Comme son titre l’indique donc, l’exposition jongle entre plusieurs perspectives qui ne dégagent pas pour autant une dichotomie figée. Ses intérieurs aux lignes épaisses cachent de nombreux jeux de perspective qui laissent ressentir la douce pesanteur de la quiétude, ces moments de suspens propices à laisser divaguer un imaginaire qui, si l’on en découvre l’intimité, ne se dévoile pas pour autant. Une forme de pudeur inattendue naît ainsi de cette accumulation d’objets presque forcés à envahir le cadre quand, à la lisière de ce monde, la nature se déploie avec une intensité spectaculaire. Ses buissons, son lierre sa fleur en vase, superbement abstraits semblent s’extraire du plan, composés d’amas de matières doués d’une énergie folle qui rappellent toute l’inventivité d’un peintre qui n’a jamais cessé d’expérimenter les effets de son médium. En véritable équilibriste il impose enfin dans ses paysages la ligne d’horizon comme une ligne de partage dans ses paysages, véritables pièces maitresses de l’exposition. Miroir renvoyant dos à dos le liquide des lacs et l’éther du ciel, ces tableaux rejouent la partition d’une peinture chargée d’affects, des paysages lourds de souvenirs et pleins d’un imaginaire qui les fait se découvrir, chaque fois nouvelle, dans l’observation de la pure unité de temps et de lieu.
Au-dedans / Au dehors rappelle ainsi cette force de Vincent Bioulès à superposer, dans son œuvre, la matérialité du ressenti à l’évanescence de l’impression, à l’évidence du réel pour figer la vibration de la lumière en un souvenir mouvant.