Giulio Paolini — Galerie Marian Goodman
La galerie Marian Goodman présente, dans son espace principal et sa librairie, une exposition de Giulio Paolini, l’une des figures de la scène italienne contemporaine qui continue de pratiquer un art du minimum pour creuser des abysses de sens.
Exposition : « Giulio Paolini » du 15 mars au 11 mai 2019. En savoir plus Très présent sur la scène internationale dans la seconde moitié du XXe siècle, Paolini participe très régulièrement aux Documenta de Cassel et aux Biennales de Venise. Rattaché de fait à l’Arte Povera (il sera à de multiples reprises invité par Germano Celant à participer aux expositions du mouvement), Giulio Paolini se singularise par son attachement viscéral à l’histoire de l’art, sa propension à la poursuivre jusqu’à s’y mettre en scène en tant qu’acteur en y intégrant, depuis les années 2000, sa propre représentation. Avec cette exposition, la galerie propose un parcours qui, sous son apparence légère et aérienne, fait œuvre du vide pour souligner les perspectives mythiques ou mythologiques de récits réinterprétés. Multipliant les ramifications et les biais, Giulio Paolini agite en effet depuis les années 1960 la scène artistique au long d’installations empruntant au vocabulaire de l’art minimal, de l’art conceptuel pour se tourner régulièrement vers l’Antiquité et aborder l’identité à travers le double, la fragmentation de l’être, la perception de l’art et l’exposition en elle-même. Son œuvre, parcouru de littérature et de mythologie impose ainsi dans la « concrétude » de mises en scène d’éléments tangibles (souvent de pacotille) des cheminements de l’esprit qui questionnent autant qu’ils remettent en cause notre perception.Pièces majeures de l’exposition, les grandes toiles présentées dans la première salle nous projettent face à des personnages dont les visages restent inaccessibles. Silhouettes de dos, corps proscrits, les anonymes de Paolini, qui n’en sont pas, peuplent des espaces vierges parcourus de lignes obtuses qui inventent un plan dont ils constituent les seuls témoins de dimension. En silence et dans le secret d’un fil narratif qui s’invente autant qu’il ne se découvre, Giulio Paolini construit un récit ouvert où les symboles se mêlent dans une histoire de l’équilibre qui renvoie à notre condition, à l’histoire de l’art et à la littérature. À l’échelle de l’homme donc, ce paysage mental devient le théâtre d’une révélation et figure la chute organisée de celui-ci, sous les yeux de l’artiste représenté ici de dos. Tenant dans un même espace d’exposition la chute originelle comme la suspension de Magritte, les œuvres participent d’un grand-écart conceptuel qui en fait la synthèse. Au centre de la pièce, l’installation d’une paire de chaussures sur la colonne de plexiglas témoigne de cet état intermédiaire, en équilibre, capable de faire ressentir toutes les vibrations de l’incertitude et, partant, d’une perspective, aérienne ou sous-terraine, renouvelée sur le monde.
Une chute salvatrice et, à tout le moins fertile pour l’imaginaire, à l’image de la grande opposition orchestrée en sous-sol d’Icare et Ganymède, dont l’un prit son envol tandis que l’autre fut arraché à la terre par Zeus changé en aigle. Jouant sur les notions du beau, tant par la quête impossible et sublime d’Icare que par la légendaire beauté de Ganymède, Paolini explore les facettes de la représentation en alliant à la sobriété de trois installations le kitsch d’un éclairage violet associé à la reproduction de sculpture antique. Ces rencontres d’objets, de simples accidents symboliques deviennent alors autant de mignardises poétiques et profondes déjouant nos attendus autant que leur valeur dérisoire. Cet art de la mise en scène cache ainsi une réflexion en acte qui explore l’imaginaire et l’histoire universelle pour imaginer avec espièglerie et malice une histoire nouvelle et symbolique de notre rapport au monde. Au détour du regard, consciemment érigée ou non, la silhouette de la Princesse X de Brancusi se dessine sur la cimaise par l’ombre portée de la sculpture exposée.
Une bizarrerie surréaliste qui nous emporte immédiatement dans un minimalisme du piège où collages et dessin se répondent en détournant la grille. En équilibre, les éléments épars inventent leur propre gravité, soulignée par la présence humaine, qui devient à son tour la force d’attraction d’un monde à sa portée. D’autant plus lorsque ces apparitions sont matérialisées par des figures d’écrivains et artistes majeurs qui, dans les couloirs du château de Rivoli, utilisées comme décors à la série Promemoria, nous toisent au sein de collages réjouissants. Compilés au sein d’une édition exceptionnelle de neuf planches qui côtoient un livre hommage à Raymond Queneau, ces portraits de créateurs apparaissent comme autant de spectres hantant les travées d’une Babel somptueuse où Duchamp côtoie Fontana, où Umberto Eco précède Italo Calvino.
Avec cette exposition, la galerie Marian Goodman propose ainsi un retour salutaire sur un œuvre qui aura marqué la seconde moitié du XXe siècle par sa capacité à s’approprier les enjeux d’une création d’avant-garde tout en continuant d’affirmer, avec malice et intelligence, une profonde singularité dans le respect de l’histoire. Celle-là même dont il dénoue les fils pour tisser de nouveaux récits mythiques qui sont autant d’allégories ouvertes questionnant notre perception et notre capacité d’accueillir les idées du monde. En cela, Paolini rend grâce à une certaine vision des Lumières, à un humanisme intelligent où la place centrale de l’homme ne répond pas à sa possible domination mais à son pouvoir d’émancipation.