Inciser le temps — Galerie municipale Jean Collet, Vitry
La galerie Jean Collet de Vitry présente une exposition audacieuse au sein de laquelle les œuvres peintes jouent des dialogues intimes qui les réunissent et multiplient les biais de découvertes d’artistes qui se font ici entendre par écho. Première étape convaincante d’une année que le lieu consacre à la peinture.
« Inciser le temps — Carte blanche à Alexandra Fau », Galerie municipale Jean-Collet du 20 janvier au 3 mars 2019. En savoir plus La curatrice Alexandra Fau rejoue ici une fantaisie imaginée en 2012 (alors en duo avec Nicolas Audureau) au musée d’art contemporain de Perm (Russie), sous l’égide de son directeur d’alors, Marat Gelman, figure singulière (et historique) de l’art russe, organisateur infatigable d’événements visant à la promotion de la culture et de l’invention dans des contextes parfois franchement hostiles.Générations, biographies, écoles, les origines et pratiques des artistes convoqués dans Inciser le temps témoignent de toute la richesse d’un médium passé en l’espace de quelques années de l’ombre d’une pratique honteuse en proie à une époque persuadée de l’avoir assassinée à la saturation d’un marché s’inventant, de Paris à New-York, chaque trimestre son nouveau héraut, porteur d’une démarche révolutionnaire qui le changerait pour de bon. Mais la peinture résiste et, loin des ambitions démesurées de vendeurs aveuglés, loin des vicissitudes d’un monde de l’art prompt au jugement généralisé, elle se développe au creux de mains qui sont autant de potentialités d’en dessiner un avenir incertain, d’en faire rayonner l’histoire au creux de toiles toujours singulières. Parmi la vingtaine d’artistes présentés, une majorité poursuit avec conviction et depuis de nombreuses années un chemin passionnant qui participe d’une histoire qui ne pourrait s’enterrer qu’avec celle des idées.
Placé sous le signe du jeu, le parcours de l’exposition illustre avec une joie non feinte la puissance sensuelle d’un médium qui s’inscrit aussi bien dans l’âpreté minimale que dans la plongée dans le cœur de la matière. Dans l’opulence d’un matériau dont la souplesse, la douceur et la générosité, loin de s’éroder avec le passage du temps, se voient immortalisées au cœur d’une représentation qui fige cet instant du choix, font vibrer la matière dans un aller-retour incessant au cœur d’un même présent, parcouru d’autant de regards d’envie qui auront présidé à son œuvre. Par touches donc, les peintres révèlent leurs gémellités, leurs différences et leurs inventions.
Avec un réel goût pour la découverte et une connaissance pointue des enjeux picturaux, l’exposition orchestre des rencontres qui mettent à l’honneur des peintres déjà largement reconnus, on pense à Gilles Aillaud, Nina Childress, Daniel Dezeuze (entre autres) avec des figures moins mises en avant qui entrent pourtant dans une belle résonance avec ces maîtres du monde contemporain qui furent, pour certains d’entre eux, des résistants de la peinture avant l’heure, poursuivant, contre les vanités de la tendance, la voie d’une peinture inventive et créatrice, conscients que le médium n’avait que peu faire des accusations d’épuisement.
La peinture se donne ainsi dans ce parcours comme pleine, fourbe, irritante et enjôleuse, séduisante et grossière, glissant sur le spectre des émotions avec la rapidité abrupte d’une équilibriste désinvolte, vivant de sa pratique plus que de ses succès, de sa perpétuation plus que du regard qu’elle pourrait se jeter au visage. Des correspondances et une vraie folie qui réussit à contrer l’austérité d’un lieu difficile à habiter avec la seule peintureL Le temps, l’histoire et l’origine géographique se perdent alors pour de bon dans des montages qui recomposent leur propre espace et impose leur rythme intérieur, ciselant celui de la visite. Chacun essaie de réinventer une figuration déchaînée, des fantasmes délirants ou contrariés qui témoignent de l’inventivité du médium.
Avec un talent engagé envers une scène des fois malmenée, Alexandra Fau opère dans la peinture contemporaine un défrichage brut qui, à défaut de se vouloir unanimement convaincant, met ses accidents en avant, assume sa subjectivité pour souligner toute la singularité d’artistes auxquels on est heureux de voir accordée une cimaise. À travers des sensibilités de teintes, des approches formelles, des processus de fabrication, des fuites de lignes ou des jeux de mots, la curatrice dresse ses correspondances avec simplicité et bonheur, complétant par quelques lignes dans le catalogue de l’exposition à disposition des visiteurs l’impact sensuel de ces couples picturaux. Loin d’être uniquement justificatrices, les quelques lignes révèlent des cohérences par empathie, ouvrent encore plus ces toiles à leurs coreligionnaires pour dresser un portrait vivant de la peinture. Un regard critique et curieux qui témoigne de sa vitalité incandescente à travers les âges comme à travers les origines de son déploiement tant la curatrice s’attache à décrire le « mouvement » de peintre de chacun des participants.
Ce bal des valses picturales, en duo, parvient au final à faire danser les pratiques, ambitions et enjeux de la peinture contemporaine en faisant résonner des voix et dessinant les voies singulières d’un médium qui n’en finit pas de s’inventer et prouve, à travers ce regard plein d’attention, sa capacité à partager plus encore qu’elle ne semble donner.