La Rivière m’a dit — Le Plateau, Paris
Le Plateau présente, jusqu’au 14 avril, une exposition sous forme de parcours labyrinthique qui nous plonge au cœur de l’obscurité, d’écran en écran. La scénographie, réalisée à l’aide de pans de moquette, sépare les espaces avec une intelligence et une simplicité bienvenues qui font de La Rivière m’a dit une véritable expérience.
« La Rivière m’a dit — Exposition collective », Frac île-de-france, le Plateau du 23 janvier au 14 avril 2019. En savoir plus Toujours aussi juste et subtil dans ses choix, se refusant à toute facilité et allant même à l’encontre d’ambiguïtés de sens, ce commissariat de Xavier Franceschi évolue avec une légèreté et une profondeur qui célèbre la complexité autant que l’attractivité éthérée des œuvres présentées. L’exposition articule en cela un souci écologique porté par une logique d’échos où les mondes autarciques partagent et profitent chacun de manière singulière d’une nature qui se révèle dans sa neutralité essentielle. Loin d’encourager ou d’enjoliver le « retour à la terre », la sélection de vidéos la dévoile dans sa crudité, ni cruelle ni accueillante. Tous les regards lui témoignent, en revanche, un véritable respect qui en dit finalement plus sur la capacité de l’homme à se positionner « à l’écoute » de la nature, à « entendre » ce que la rivière « dit » et à transfigurer ce message éminemment subjectif dans son existence.Avec La Rivière m’a dit, Le Plateau offre ainsi une exposition « à rebours » des attendus ; dans sa forme d’abord avec l’audace d’une présentation uniquement pensée pour la vidéo. Dans son fond surtout, cette notion de « rebours » s’articule toutes ces créations qui engagent, chacune à leur manière, un mouvement d’inversion, de retour. Qu’il s’agisse de la vidéo de Ben Russell — qui a largement inspiré le commissaire à concevoir ce parcours — diffusant un long plan séquence entièrement monté à l’envers, de la mise en scène de Tahitiennes rejouant les peintures de Gauguin de Nashashibi/Skaer, du choix de femmes et d’hommes de quitter la société « civilisée » pour opérer un retour à l’autarcie, en retrait de l’économie et de l’industrie dans la vidéo de Melanie Bonajo. On croise également dans ce parcours, chez Charlotte Cherici, un steward occidental traité par un chamane au cours d’une séance d’ouverture spirituelle en pleine forêt, à mi-chemin entre documentaire et expérimentation visuelle et sonore qui met en scène ce fantasme d’un retour à l’essence du monde. Enfin, Margaret Salmon opère le basculement d’un adorable bestiaire d’oiseaux à la vision inquiète d’une forêt vide, dont les soubresauts de la caméra se mêlent à l’effervescence de bruits industriels, de détonations menaçantes.
Avec près de deux heures de vidéos, le Plateau invite à une déambulation aux allures de dépaysement, voire de « re-paysement », glissant sans artifices sur un rapport à la nature qui maintient justement toute son ambiguïté ; au cœur d’une obscurité profonde qui nous rappelle au cheminement intérieur d’hommes et de femmes nous livrant leur propre expérience de celle-ci.
Un choix resserré qui offre une grande visibilité à des pièces de formes variées. La succession de vidéos, à découvrir au hasard de ses pérégrinations, au détour d’un son, d’une voix qui nous attirent, mélange un propos engagé et une relative absence de discours directs, plongeant le visiteur dans un vortex d’émotions différentes, alternant également les régimes de discours où l’on oscille entre documentaires, observation naturaliste, expérimentation visuelle et propositions existentielles. Là encore un « rebours » face aux premières impressions qui s’offre à qui prend le soin de se laisser porter par la diversité des formes et des idées portées par l’exposition.
Le propos de l’exposition n’hésitant pas lui-même à poser la question du genre, de la limite entre document, fiction et art pour mettre en perspective ces travaux hybrides qui, à défaut de résoudre le problème des catégories, marquent l’imaginaire par la liberté de formes qu’elles adoptent et une certaine sensibilité qui les a vues, pour la plupart d’entre elles, intégrer les collections du Frac. Pour autant, toutes vivent ici dans une cohérence rare, portées notamment par le travail des bande-son qui font bruisser au cœur de l’exposition une rivière mutante, drainant à elle tous les chants de la forêt, du vent, de la faune, des femmes et hommes qui la peuplent.
Une pensée à rebours enfin, qui offre une expérience poétique et indéniablement engagée. Loin d’imposer une dialectique fermée, La Rivière m’a dit tente de déjouer le cours inexorable du temps et la destruction rampante d’un écosystème montré sous un jour particulièrement vivant et précisément vivable différemment.