Jannis Kounellis
Avec cette rétrospective des pièces produites entre 1959 et 1964 par Jannis Kounellis, la galerie Karsten Greve propose une entrée passionnante dans l’œuvre de l’artiste qui martèle, dès le début de sa carrière, sa vision d’un art dépassant les valeurs traditionnelles de la représentation. Œuvres de jeunesse, voire de prime maturité, ces toiles fourmillent déjà des signes de la liberté à venir du mouvement Arte Povera, dont Kounellis constituera l’un des chefs de file. Mélange de signes objectifs et de matériaux communs, elles dressent une cartographie mystérieuse, entre rébus et chasse au trésor, des chemins qu’empruntera sa création par la suite ; de cette fabuleuse explosion de l’espace, du sens et des valeurs qui la caractériseront. Et malgré la pauvreté matérielle, malgré cette
distance ironique avec la beauté, l’harmonie et les valeurs de l’art (du classicisme au nouveau formalisme), il se dégage de certaines toiles, notamment de ses compositions presque effacées où l’on devine un paysage, une force organique fabuleuse qui tranche avec le minimalisme revendiqué. Étonnamment pourtant, l’espace de la galerie Karsten Greve empiète un peu sur la force de ses œuvres, qui s’intègrent à la perfection aux larges murs bruts et épurés, perdant au passage l’inévitable étrangeté que provoqueraient ces tableaux au cœur d’un « White Cube » plus conventionnel. Une conclusion inattendue pour cet art qui apparaît ainsi presque comme le comble du raffinement, de l’élégance et de la sobriété sitôt qu’on le présente dans une architecture contemporaine, qui joue elle aussi de la multiplicité des matériaux, béton et tuyauterie apparentes. Certainement une preuve supplémentaire de la vision géniale d’un artiste précurseur.