Jeanne Susplugas — La Maréchalerie, Versailles
La Maréchalerie de Versailles accueille un pan du projet de Jeanne Susplugas qui, à travers une exposition courte et sensible, soulève les thématiques qui agitent en profondeur son travail.
« Jeanne Susplugas — At home she’s a tourist : chapter I », La Maréchalerie, centre d’art contemporain du 20 janvier au 26 mars 2017. En savoir plus Jeanne Susplugas convoque, avec son titre « At home she’s a tourist », une multitude de paradoxes ; de l’appropriation de son lieu de vie condamné, avec le passage du temps, à devenir étranger mais aussi la fixité du foyer opposée au mouvement et à la situation éphémère, en transit, du touriste. Alors, le visiteur lui-même devient passager de ce voyage en un monde où rien n’est figé.Suspendus à une maquette de maison, des objets du quotidien flottent au milieu de la très belle pièce principale de la Maréchalerie, adaptation matérielle d’un dessin issu de sa série de portraits dessinés. Entre familiarité et danger, le ton est donné ; un ordinateur côtoie un revolver surdimensionné, un poing américain fait face à une clé et un sac de voyage jouxte une bombe lacrymogène. Loin du cocon protecteur, la maison, l’habitat se font sources de contradictions qui pendent sur les âmes une vie durant. At Home She’s a Tourist est donc une histoire de paradoxe, une insécurité à résoudre qui remet en question l’enracinement et l’identité. Forcément éphémère, le statut de touriste en sa demeure, d’étranger à sa détermination géographique traduit l’instabilité et la variabilité du regard sur soi. Comment en effet appréhender ce lieu premier de l’enfermement qu’est l’habitat ? D’abord en questionnant l’impact que le foyer exerce sur la définition de soi, s’arracher à tout ce qui nous y enferme et, partant, à tous ceux qui nous y confinent. C’est ainsi la question de l’enfance et des parents qui émerge, du mouvement inlassable du temps et de l’immobilité des souvenirs.
Une série de vidéos témoigne, en parallèle, d’instants d’une biographie polyphonique imaginaire, par traces. Des souvenirs épars, banals et profonds qui, par leur ton, donnent une idée des personnalités qui peuplent nos existences. Quatre intervenants partagent ainsi des observations, obsessions avec un bonheur non feint. L’anecdote, le souvenir ou l’invention participent à leur manière d’un récit commun autour d’une histoire que nous comprenons. On y retient particulièrement ce souvenir d’une fillette qui se doit de ranger sa chambre au cas où elle ne reviendrait pas, agitant le spectre d’une double question d’un habitat comme un reflet, une image que l’on laisse derrière soi mais qu’on habite finalement toujours. Jeanne Susplugas dirige ainsi l’attention vers l’essentiel, ce qui ressort d’un paysage dès lors qu’on s’en extrait et l’observe à la manière d’un touriste.
Dans une petite salle, des éléments d’une table bourgeoise se voient recouverts d’un blanc immaculé, sculptures de consommables qui semblent désormais intouchables et figés. L’éphémère et l’organique se confondent avec l’artificiel, brisant l’écoulement du temps. Le décor du foyer se fait inhospitalier et froid, il remet en cause les conventions pour devenir une concrétisation du doute ; la maison, la table familiale sont-elles des choses que l’on peut encore toucher ? Quelle dose de réalité même revêt ainsi le souvenir ?
À travers les thèmes de la maison et de l’habitat, Jeanne Susplugas dessine donc un parcours sensible qui nous renvoie à l’enfance et à l’enfermement, au jeu et au piège. De la maquette suspendue semblent s’évader les objets mais pas les êtres. Malgré la brièveté de l’exposition, heureusement accompagnée, d’ici fin février, par une annexe à l’école des Beaux-Arts de Versailles, l’artiste parvient à déployer des métaphores visuelles efficaces qui ouvrent un imaginaire séduisant et riche.