Tell me The Story… — Villa Vassilieff
La Villa Vassilieff explore les histoires et les identités avec Tell me the story of all these things…, du 14 janvier au 28 mars, une exposition riche articulée autour d’une confrontation jouissive entre deux figures méconnues de l’art moderne.
« Tell me the story of all these things, beginning wherever you wish, tell even us. », Villa Vassilieff du 14 janvier au 18 mars 2017. En savoir plus À travers de nombreuses interventions, évidentes ou discrètes, la Villa Vassilieff déploie une exposition qui multiplie les échos à sa propre histoire avec la perpétuation de la tradition d’accueil de ce lieu historique, ayant invité le designer Vittorio Cavallini à imaginer un mobilier pour profiter de la visite. Basée sur l’idée d’exil, cette exposition contient en elle les conditions d’enfermement et le poids de l’histoire mais aussi les stratégies pour les dépasser.L’exposition tente ainsi d’explorer la notion d’identité, source de conflits, d’enfermements et de craintes tandis qu’elle reste un territoire plastique que l’art et la création doivent continuer de questionner. À travers le concept d’Autohistorias qui constituera le fil directeur du cycle d’expositions qu’inaugure celle-ci, la Villa Vassilieff se fait relais d’une réflexion entamée par la poétesse Gloria Anzaldúa encourageant à s’approprier les histoires par écho, laissant entrevoir non seulement un élargissement de l’identité mais plus encore la possibilité, à travers leur performation, de faire résonner les singularités et d’affirmer leur présence. Et, partant, leur actualité, au-delà des frontières et des contingences. Une perspective qui offre de nouvelles stratégies de résistance et la possibilité toujours renouvelée de s’impliquer autant que d’impliquer le monde autour de nouveaux « soi ».
Composé autour de l’ouvrage Dictée de Theresa Hak Kyung Cha (paru en 1982), ce premier volet emprunte à ce roman autobiographique l’idée d’une histoire plurielle, composée d’une constellation d’événements et d’expériences qui communiquent et se combinent pour s’inscrire dans une unité plus large. Largement centré autour de la notion d’exil, l’ouvrage mêle différentes formes d’expressions, à l’image de l’exposition Tell me The Story of All These Things… qui convoque une multitude d’artistes usant de médiums divers. Design, vidéos, peinture, lithographies, installations, tous les formats dialoguent et dressent une polyphonie d’histoires personnelles et engagées dans la course d’un monde qui ne les attend pas.
Au rez-de-chaussée, Sojung Jun, résidente de la villa, déploie un dispositif de vidéos composé de courts films mettant en lumière des personnages en marge de la société ainsi que des traditions locales menacées. Ce paysage kaléidoscopique offre un premier aperçu en mouvement de la pluralité de narrations qui explorent, ouvertement ou non, des histoires singulières, que l’artiste fait entrer en résonnance avec sa propre expérience et de nombreuses références littéraires. En parallèle, une sélection de vidéos de l’artiste Rose Lowder offre un contrepoint plastique à l’enchevêtrement de récits, proposant des variations de lumière jouant avec la pellicule et traduisant, à travers l’esthétique, la mutation et l’évolution des formes dans le temps.
À l’étage, c’est à une superbe confrontation que nous convie l’exposition dans l’espace toujours aussi accueillant de cette Villa décidément aussi séduisante que sa programmation est subtile. Déployées en parallèle, les œuvres de León Ferrari et Remzi Rasa, que tout semble opposer, résonnent avec force dans ce lieu teintée de l’histoire d’un quartier Montparnasse alors refuge de nombre d’artistes. L’un, né en Argentine en 1920 et contraint à l’exil par la dictature militaire, l’autre, né en 1928, immigré issu de l’aristocratie kurde et formé aux Beaux-Arts d’Istambul. À leur manière, chacun de ces artistes parle d’un monde qu’ils ont laissé derrière eux en y mêlant les rencontres de leur exil, les souvenirs et les luttes internes.
Méticuleuse et iconoclaste, la peinture de Remzi Rasa aligne dans la tradition des natures mortes des éléments issus de cultures diverses, faisant appel à des motifs qui viennent court-circuiter l’apparente naïveté de ses compositions. Après avoir abandonné l’abstraction, Remzi Rasa, qui fréquente le Montparnasse des années 50, réinvente le monde qu’il a laissé en multipliant les références à son passé, en s’attachant notamment à des objets qui l’accompagnent dans son exil. Sa peinture, sobre et naïve, cache ainsi une lancinante fragilité autant qu’une volonté farouche de performativité de la mémoire qui la parent d’une beauté troublante. Mais c’est véritablement sa rencontre avec la Drôme qui va ouvrir la palette de Remzi Rasa, peignant presque obsessivement le mont de la Fournache, trait d’union dans son imaginaire avec le Kurdistan qu’il a quitté. Claires, espiègles et singulières, ses couleurs semblent conduites seulement par l’imaginaire, calquant sur cette nature qu’il observe les sentiments du souvenir, le poids d’un passé qui le suit. Chez León Ferrari, pas de nostalgie ; ses architectures impossibles, reproduites et agrandies ici offrent un herbier de mondes possibles, cauchemars labyrinthiques où l’espace enserre les silhouettes, les piège ou les expulse. Dans cet univers halluciné, des mondes agencés par une force extérieure, une intelligence anti-humaine et sans sentiment qui aurait rationalisé l’espace et contraint à obéir à des règles incompréhensibles. Particulièrement graphique, ces répétitions érigent des compositions complexes parcourues de narrations secrètes qui traduisent l’enfermement de la singularité sous le contrôle absolu du pouvoir.
Cette opposition de styles, aussi inattendue que brillamment menée, offre un contraste saisissant qui vient confirmer la nature subtile et plurielle des identités capables de se rencontrer et d’exprimer, par une infinité de voies possibles, des sentiments dont la mise en proximité dévoile l’analogie. Aux vertiges contrôlés de León Ferrari répondent ainsi les fugues imaginaires de Rasa, multipliant les formats pour offrir des ensembles éclatés et réjouissants qui sont autant d’histoires que la scénographie réactive pour en générer de nouvelles.
Centre névralgique d’une exposition qui parvient à articuler ses concepts en actes autant qu’à rendre hommage à des figures de l’histoire de l’art, cette perspective sur deux trajectoires rencontre en plein le propos, certes théorique, mais bien sensible, d’une constellation d’histoires nécessaires à l’élaboration d’un récit alternatif d’identités en quête de leurs infinies altérités.