Jérôme Poret — Cac La Traverse, Alfortville
Au CAC La Traverse, Jérôme Poret invente, autour de l’histoire du lieu et de son écosystème, des dispositifs ouverts et propices à l’invention d’autres. Une exposition captivante où l’expérimentation tient autant au mimétisme qu’à l’invention.
« Géopathie des neiges — Jérôme Poret », CAC La Traverse, Centre d'art contemporain d'Alfortville du 26 janvier au 18 mars 2023. En savoir plus Spécialiste de la création sonore, Jérôme Poret imagine pour chacune de ses expositions un dispositif narratif dans lesquels l’organisation même devient pré-texte à une histoire en cours d’écriture. Une sculpture monumentale, réalisée avec les chutes de papier récoltées localement impose dès l’entrée de l’exposition sa présence. reconstitution rudimentaire d’un habitat de guêpe, elle joue de l’ambiguïté entre la précision scientifique attendue dans ce genre de reconstitution et le potentiel de fiction fantastique d’insectes maximisés dévoyant notre ordre des choses.Sa conjonction avec des pièces plus technologiques, centrée autour de la production sonore, qui la jouxtent réhausse encore le doute, annonçant d’une certaine manière la porosité admise des champs d’investigation de l’artiste. Glissant de l’invention plastique et poétique vers la rationalité des machines, il impose une variété de plans que la bibliothèque exposée ne résout qu’en partie. Ouvrages scientifiques et philosophiques, les livres mis en avant se jouent eux aussi des catégories pour offrir des réflexions libres qui ne sont pas pour le moins dénuées d’exigence scientifique, à l’image de l’ouvrage Autobiographie d’un poulpe de Vinciane Despret. S’inscrivant dans leur sillon, Jérôme Poret nourrit leur propos autant qu’il le met en pratique avec le concept d’architecture animale qui a présidé à l’invention de Géopathie des neiges. Une accumulation fruit du hasard et de la période de gestation du projet qui encourage l’artiste à tracer dans le projet des lignes de lecture diagonales, qui fouillent aussi bien le passé du centre d’art que les enjeux d’une pensée contemporaine dans un récit ouvert où l’absence se fait pesante.
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Si Jérôme Poret a pour habitude, dans ses multiples projets, de jouer avec la tension de présences hantant le lieu qu’il occupe, il s’agit pour lui ici de convoquer la guêpe en actant son absence. Absence qui se matérialise ici dans un sentiment d’abandon paradoxal. Embrassant l’histoire du bâtiment du Centre d’art et de ses anciens occupants (un maçon et un studio de musique), un sac de matériau de construction reste gisant, de même que de nombreux outils de la culture des guêpes. Les bandes magnétiques, vides ou inaccessibles, se bornent à leur rôle de forme, laissant planer le mystère d’une activation passée ou à venir. Dans cette indétermination du passé et du présent, le lieu « tourne » malgré tout, comme ce dirigeable fait de coque de ruche en rotation qui occupe la seconde pièce, privé de son pilote, répondant au manège du pot de miel qui, abandonné aussi mais filmé en continu, se recompose plus qu’il ne disparaît. Comme ces cercles de lumière enfin, qui dessinent le motif récurrent de l’exposition.
En ce sens, dans son inspiration et ses recherches expérimentales sur une espèce qu’il découvre, Poret s’implique autant qu’il nous implique en nous prenant à témoin des règles et stratagèmes d’un jeu qu’il établit, installant son univers comme la guêpe bâtit son nid. Et, à travers son désir de fiction, c’est bien la réalité et la concrétude de sa recherche qui se font jour, nous entraînant à leur suite dans une multitude de digressions qui avancent de la vie animale à notre propre mode de vie. Portant les stigmates de ses propres tâtonnements et imperfections, ses formes plastiques activent l’idée même de recherche en acte. Plus encore, Jérôme Poret met à mal la question de la progression et de la réalisation. Ainsi mis à jour, le processus reste le point essentiel du parcours et lui confère une vie qui dépasse les notions de description, prescription et pédagogie pour élaborer les conditions d’une expérience commune en un temps et lieu donnés dessinant des biais d’appréhension du monde qui nous entoure.
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En mouvement donc, pourvu qu’il n’ait rien de linéaire. En ce sens, l’habitat de la guêpe, né de ses aller-retours, de sa capacité à recycler les éléments naturels et à abandonner bientôt sa réalisation éphémère, dessine le cercle concentrique d’un projet de création qui, s’il restera dans les mémoires, tente adroitement de ne pas s’y imposer par le dogme et épouse la beauté éphémère d’un acte voué essentiellement, pour ne pas dire instinctivement, à sa réalisation.