Paris Peinture — Maba, Nogent
La Maba de Nogent accueille une troisième itération du projet Paris Peinture porté par Karina Bisch et Nicolas Chardon qui réunit quatorze artistes présentant chacun deux œuvres, théoriquement celles qu’ils considèrent comme la première et l’une des plus récentes. Une règle du jeu bien vite détournée qui donne le ton à une exposition aussi ludique que profonde.
« Paris Peinture — Ici et Maintenant », La MABA du 12 janvier au 26 mars 2023. En savoir plus Une sélection d’artistes qui, à rebours de la tendance accrocheuse d’une efficience visuelle d’une peinture qui semble n’avoir jamais été aussi populaire, s’exhibant jusqu’à l’indigeste sur les réseaux sociaux et trahissant un fantasme de l’image fédératrice pour ne pas dire fétiche, offrent des instantanés de pratiques qui questionnent leur médium et privilégient le geste à l’effet.Sous l’impulsion de Karina Bisch et Nicolas Chardon et faisant suite à deux premières itérations ayant eu lieu respectivement au Quadrilatère de Beauvais et à la galerie Jean Brolly, Paris Peinture — Ici et Maintenant, s’entend une fois de plus comme un révélateur de la durée que comme un état des lieux borné au seul présent. En s’attachant à présenter celle que chacun des artistes considère comme sa « première » œuvre historique ainsi que la dernière réalisée à ce jour, l’exposition opère une passerelle temporelle d’envergure pour s’inscrire dans l’histoire proprement dite de chacun.
Véritable gageure curatoriale, cette accumulation de trajectoires personnelles invite, en se débarrassant de tout cartel au sein de l’espace d’exposition à un jeu de piste qui reflète l’aspect définitivement ludique de cette entreprise qui nous invite, à notre tour, à penser la zone aveugle qui sépare l’origine de l’actualité. Or la pratique artistique s’opposant, par essence, à toute linéarité et s’arrogeant le droit seule de considérer la valeur de son « progrès », les deux pièces du puzzle, de par les sinuosités qui les séparent, apparaissent aussi essentielles qu’interchangeables. Car les artistes eux-mêmes décident des règles du jeu et, si les « premières » œuvres sont, ici et maintenant, telles que présentées, le passage du temps pourrait tout aussi bien les modifier. De la spontanéité du dessin d’enfant à la méticulosité conceptuelle d’une œuvre de sortie d’école d’art, de la fulgurance adolescente à la remise en cause radicale de sa pratique, l’œuvre « fondatrice » se charge en tous cas d’une valeur qu’il nous appartient de décrypter.
Chacun des participants affirme en effet sa singularité, brusquant par la radicalité de son geste les limites du suivant. Figuration, abstraction, conceptuelle et minimale, les tendances se croisent et offrent une plongée dans l’histoire de la peinture qui fêtent la vie intense. Le parcours de l’exposition, riche et généreux mais loin d’être surchargé, saisit avec intelligence la discordance possible et laisse largement respirer les œuvres pour mieux en souligner les spécificités. Déjouant l’idéal d’une peinture flatteuse, les compositions excitent, intriguent, agacent et interpellent en alternant les supports et les ambitions mêmes. On joue alors à lire dans les peintures ou les installations les lignes de force qui seront suivies, nourrissant notre soif de percevoir dans l’œuvre un primat de l’auteur, ce trait « unaire » qui, s’il émerge bien dans la plupart des cas, nous en dit tout autant sur le regard que porte l’artiste sur son œuvre et aborde avec réussite la question de l’intention plus que d’un substrat magique et identifiable. Comme dans tout domaine, l’identité s’invente et se conquiert plus qu’elle ne se découvre.
Véritablement invité à la participation, le spectateur observe en parallèle une ligne narrative qui n’en est pas une avec la présentation conjointe de textes fictionnels de Thomas Clerc, au premier abord abscons et eux-mêmes pétris de contradictions, activant à plein sa fonction cognitive. Comme si l’écriture prenait à sa charge le fardeau de mobiliser l’imaginaire pour mieux laisser le visiteur se confronter immédiatement à la matière peinture, au langage plastique des amas et retraits de la couleur, aux décisions invisibles, ajouts inventions et problématiques qui ont modelé le processus artistique de chacun des artistes invités. Une manière également de jouer avec l’indicible, de combler la frustration de ces premières œuvres « épiphanies » qui ne se complaisent pas dans une lecture rétrospective à la gloire de leur géniteur. Les artistes gardent ici le silence pour observer à nos côtés cette mise en perspective qui a plus valeur d’expérimentation légère que de conceptualisation d’un chemin. Les textes leur adjoignent alors autant de nœuds narratifs qui prennent le relais d’une histoire manquante.
À ce jeu réjouissant, la double proposition de Camila Oliveira Fairclough nous gratifie de deux œuvres que seules deux années séparent, une toile laissant apparaître le mot « end » en début d’exposition et, plus loin, l’une de ses fameuses horloges ornée des trois lettres « abc », décompte primaire d’une histoire dont le fait de connaître la fin n’a que peu d’incidence ; le temps n’est que littérature et toutes ses manifestations participent au véritable bonheur de sa lecture.