L’Irrésolue — Le Plateau
Le Plateau présente une exposition collective de six artistes qui conjuguent leurs univers dans une proposition curatoriale qui met en valeur l’atmosphère pour élaborer un parcours qui tient lieu de narration sciemment ambiguë.
« L’Irrésolue », Frac île-de-france, le Plateau du 26 janvier au 25 juin 2023. En savoir plus Il y a une forme de radicalité autant que de retenue dans cette proposition. Une ambivalence à l’image de sa conception, occupant une vacance entre deux programmations (le Frac Ile-de-France reste en attente de sa nouvelle direction). Une forme d’entrée par effraction en quelque sorte, entre deux blocs, qui irradie sa singularité par diffraction mêlant une certaine urgence dans le projet et la convocation d’une thématique centrale dans la démarche de la commissaire Anne-Lou Vicente. S’engageant intimement dans le Journal de l’exposition, « l’irrésolue » dont il est question, comportant une charge polysémique certaine (l’irrésolue est autant celle qui suspend son choix que celle qui demeure le mystère), pourrait tout aussi bien être le portrait d’une attitude, d’un rapport au monde qui unit, en un temps et un lieu, ces artistes. C’est alors par les sens, par l’agitation des affects autant que par sa direction générale que L’Irrésolue s’appréhende, dans une oscillation constante entre les formes.Il y a irrésolution dans la conjonction de matériaux disparates qui mettent en jeu la notion même d’œuvres. Tout ici se conjugue et s’additionne en laissant de côté la question du médium. Peinture, sculpture, installation, photographie, projection et lumière deviennent autant de biais pour ajouter un trait à l’esquisse globale de ce portrait par touches d’une construction en cours d’élaboration. Le commissariat de l’exposition insiste, à travers toutes ces pièces, sur une pluralité de définitions de la surface, sa capacité à imposer son contenu comme à réverbérer le monde extérieur, à emmagasiner ainsi la différence et à refléter ce qu’elle n’est pas. Les effets de surface expriment à leur tour l’indétermination, l’ouverture de l’acte de création à sa perception aléatoire une fois confronté au monde extérieur.
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Par opposition, ou plutôt par extension, derrière ce qui est voilé figure surtout ce qui est caché, ce qui participe à ce corps spectral sans jamais se révéler. D’où la prégnance des contenants et leur capacité à occulter ce qui les occupe ; d’abord dans la pièce introductive de l’exposition avec la table de Céline Vaché-Olivieri sur laquelle s’amoncellent des boites en carton abimées dont la variété des formats témoigne de la spécificité des objets qu’elles contiennent. Mais aussi dans les réserves au creux des cimaises de Camille Brée dont l’entrebâillement révèle la chaude lumière rouge d’un organisme qui ne se laisse pas identifier, tandis que s’élèvent des appels non identifiés dans la vidéo de Leslie Thornton. La recréation enfin par Nadia Belerique, à échelle miniature, de lieux de vie aménagés autour de pièges à souris, ironiquement destinés à mettre fin à la vie. En douceur et en silence, les œuvres de l’exposition maintiennent elles aussi leur ambiguïté, cette suspension du sens qui défend de toute interprétation définitive.
Plus alors que de suspension, c’est précisément le déséquilibre qui préside à l’exposition, la menace autant que la liberté, l’empêchant de rester dans l’indécision innocente et l’engageant précisément par la promesse d’un retournement à venir qui, même s’il préserve le mystère quant à sa nature, laisse entrevoir sa formidable intensité et donne au parcours la gravité d’une narration dont les mots n’ont pas le monopole du sens.
Résolue à son irrésolution, à sa volonté de ne pas constituer une nature précise, de maintenir dans la pluralité des propositions sa plasticité, le parcours substitue à l’intention une politique de l’attention qui prend soin de laisser à chaque œuvre l’espace de déploiement imaginaire nécessaire à sa propre définition, en mouvement elle aussi.