Julien Prévieux, Francisco Sobrino, Raphaël Zarka — Jousse Entreprise
Autour de la notion de geste, les œuvres de Julien Prévieux, Francisco Sobrino et Raphaël Zarka présentées dans cette exposition de la galerie Jousse Entreprise composent un dialogue plurivoque qui, dans ses différences, révèle les modalités concrètes qui lient notre corps à la perception et à l’appropriation du monde.
« Julien Prévieux, Francisco Sobrino, Raphaël Zarka », Jousse Entreprise — Art contemporain du 28 mai au 28 juillet 2015. En savoir plus C’est ainsi sur l’invitation de Julien Prévieux que Raphaël Zarka dresse son Free Ride : Une prophétie. Avec cette sculpture rendant hommage à Tony Smith, l’un des pionniers de la sculpture minimaliste qui installa dans les années 60 son Free Ride dans les jardins du New York City Museum, Raphaël Zarka réactive une œuvre qui, à travers sa forme, constitue une invitation pure à la construction mentale de ses usages. Structure minimale dont la base s’élève à hauteur du genou, elle devient à travers les yeux du skateboarder, un terrain de jeu illimité, capable de supporter des journées entières de pratique. Pour Zarka, aucun doute, cette forme que l’on retrouvera des dizaines d’années plus tard dans tous les skateparks, est une prophétie. Cet assemblage au sol de deux blocs rectangulaires qui se voient affublés d’un troisième, vertical, sublime la nature du « ledge », une forme propre à l’architecture urbaine que se sont appropriés les skateboarders du monde entier sur les rebords desquels ils font glisser leurs planches au long de figures acrobatiques. Elle deviendra ainsi l’ossature essentielle au développement du vocabulaire et de l’histoire de ce sport urbain et, de structure anonyme de la ville, deviendra un « spot » chargé de souvenirs et de légendes propres à ceux qui l’ont pratiqué. En d’autres termes, les gestes qui s’y appliquent, historiques ou à venir, définissent son essence.Zarka poursuit ainsi sa démonstration avec l’affichage de couvertures de magazine de skateboard sur lesquelles figurent, en action, des sportifs se servant d’œuvres d’art pour réaliser, dans l’espace public, des figures acrobatiques. En face, Mobile (1967), une œuvre de Francisco Sobrino disparu en 2014 et fondateur, aux côtés de François Morellet ou Julio Le Parc, du GRAV, invite le visiteur à activer, d’une pression de la main, des sphères reliées par des ressorts. Ici, c’est la perception même qui est définie par le geste. Ce geste accidentel qui, rappelle Julien Prévieux, fût à l’origine de nombreuses découvertes scientifiques majeures. À travers son Musée du bug, il dresse une généalogie de l’accident qui fait du hasard un élément essentiel de l’invention.
Des amorces parfaites pour introduire la vidéo du même Julien Prévieux, issue du triptyque composé d’un film d’animation et d’une performance qui lui avait permis de remporter le dernier prix Duchamp, What Shall We Do Next ?. Dans une chorégraphie savamment mise en scène, les protagonistes réalisent à tour de rôle ou à l’unisson une série de gestes déposés à l’agence américaine de la propriété industrielle correspondant à des actions liés à des appareils existants ou non. Cette histoire du geste, déconnectée de leur situation d’application quotidienne devient à travers l’implication totale des danseurs et le superbe montage de la vidéo une jouissance poétique du geste et une réflexion sensible sur la modification et l’apprentissage de nos mouvements. Dépouillés de leur fonction, ces bras et ces mains produisent, comme par accident, des mouvements d’une esthétique jubilatoire de l’« insensé », dictée par un ordre dont l’absence de résultat achève d’en faire toute la beauté.
Pertinente, ludique et profonde, cette exposition dévoile ainsi l’ambiguïté du sens de tout geste, son déplacement possible, réel ou encore irréalisé comme une possibilité infinie de modifier le monde, d’en bousculer l’ordre pour y introduire son propre usage et, par conséquent, s’en approprier une dimension personnelle.