Katinka Bock — Lafayette Anticipations
Lafayette Anticipations présente jusqu’au 05 janvier 2020 une exposition ambitieuse et réussie de Katinka Bock, lauréate du Prix Ricard 2012 et figurant sur la liste des nommés du Prix Duchamp 2019, l’occasion pour la structure d’offrir un visage aussi profond que tourné vers la sensibilité.
Lafayette Anticipations présente jusqu’au 05 janvier 2020 une exposition ambitieuse et réussie de Katinka Bock, lauréate du Prix Ricard 2012 et figurant sur la liste des nommés du Prix Duchamp 2019, l’occasion pour la structure d’offrir un parcours aussi profond que tourné vers la sensibilité.
« Katinka Bock — Tumulte à Higienópolis », Lafayette Anticipations du 9 octobre 2019 au 5 janvier 2020. En savoir plus Pensée autour de son projet monumental de restauration du bâtiment Anzeiger-Hochhaus de Hanovre, l’exposition de Katinka Bock dresse des analogies avec la structure du centre d’art en s’appropriant son empreinte verticale qui invite le spectateur, autour d’une large béance, à s’élever aux étages supérieurs à mesure qu’il avance dans le parcours. Occupant cet « éventrement », Katinka Bock installe des œuvres en suspension qui se dévoilent ainsi à l’aune de notre mouvement. Des interventions sculpturales minimales aux proportions monumentales de la pièce centrale, vit ici le paradoxe d’un art de qui fait tressaillir le réel en le bousculant parfois à peine. Comme à son habitude la sculpture de Katinka Bock déjoue tout processus attendu pour installer sa propre étrangeté, ses formes alanguies tantôt irrémédiablement attirées vers le sol, tantôt y opposant leur légèreté, voire leur invisibilité.La minéralité organique qui monte des compositions comme des aberrations naturelles perturbe la neutralité des espaces qu’elle colonise. Ses installations sont autant de points d’exclamation et d’interrogation gravés dans la tridimensionnalité de l’espace qui gênent le regard et contraignent le corps à se tordre en circonvolutions pour mieux apprécier son chemin. Le tout avec un minimum de matière et une utilisation pleine de malices des perspectives propres au bâtiment. Les éléments organiques donnent ainsi une seconde vie à la structure en usant de ses angles droits pour mieux les déjouer par des courbes accidentées dont le vertige se fait d’autant plus intense. Une forme de jeu constant, de répétitions visibles et invisibles qui composent une langue d’échos plus ou moins perceptibles, plus ou moins présents mais « toujours là », comme lorsqu’elle posait des sondes à l’extérieur des lieux qu’elle occupe pour prolonger encore leur expérience.
L’appareil pédagogique qui l’accompagne, parfaitement pensé, permet à chacun d’appréhender toutes les œuvres dans leur histoire et leur portée. Un reproche que l’on avait pu formuler à l’organisation précédemment et habilement rectifié avec cette présentation. Le tout offre une exposition de haute tenue qui montre une Katinka Bock facétieuse, profonde et inventive dont la majesté de la pièce principale rythme, à mesure qu’on la découvre sur les trois coursives qui l’entourent, une ascension spectaculaire et modeste où chaque invention trouve sa place autant qu’elle déploie un détour supplémentaire dans un imaginaire fertilisé par les fantasmes de civilisations perdues. Inversion symbolique de l’érection architecturale et de la sculpture même, la gravité est suspendue et la base, invisible en premier lieu, est au zénith du bâtiment, simple filin de fer tressé retenant de toutes ses forces la pièce monumentale. À quelques centimètres du sol, comme en lévitation, cette trompe éventrée pèse de toute sa stature et de toute sa majesté (avec ses superbes tôles de cuivre issues du dôme de l’Anzeiger-Hochhaus) dans l’air de la fondation ; ce n’est pourtant qu’un souffle, un « bruissement » (ce que signifie littéralement son titre, Rauschen).
Si l’exposition repose sur une histoire, un Tumulte à Higiénopolis, une narration qui s’écrit aussi dans la relation qui se noue entre le mouvement de la visite et ces formes de stases qui occupent l’espace. Quel peut bien être un « tumulte » silencieux, terme procédant lui-même du latin « désordre, bruit » ? Cette Higienopolis évoquée dans le titre de l’exposition devient ainsi la visée d’une enquête dont Katinka Bock parsème à rebours les indices (la cuillère, le gisant recouvert de plaques le protégeant de la décomposition renvoient à l’Égypte comme à la Grèce antique), dessinant la trame d’une fantaisie archéologique alternative, écho passionnant à la « remise en espace », à la « redécouverte » du bâtiment l’Anzeiger-Hochhaus. En ce sens, Katinka Bock exhume sans surélever, se joue des espaces pour figurer, en négatif, un creusement imaginaire qui nous projette dans une multitude de strates comme sous-terraines où gisent, épars, des fragments de civilisation à inventer.
Si l’exposition repose alors sur une histoire, un Tumulte à Higiénopolis, une narration qui s’écrit aussi dans la relation qui se noue entre le mouvement de la visite et ces formes de stases qui occupent l’espace, c’est la possibilité même d’un équilibre qui est ici en jeu, un vertige inversé qui nous aura projeté de la sidération du monumental à l’inversion subtile d’un abîme d’une profondeur insoupçonnée de poésie qui invente le lien magique d’une architecture archéologique.
Expo Paris, Katinka Bock — Lafayette Anticipations — Tumulte à Higienópolis jusqu’au 9 janvier 2020