L’oeil vérité — Mac Val, Vitry-sur-Seine
Immense, intense et généreux, le nouveau parcours permanent de la collection du Mac Val, L’oeil vérité poursuit l’ambition de donner à voir des œuvres majeures du XXe et XXIe siècles avec le souci de les ancrer dans des perspectives problématiques passionnantes.
« L’œil vérité — Le musée au second degré », MAC VAL Musée d'art contemporain du Val-de-Marne du 24 juin 2023 au 5 janvier 2025. En savoir plus Exercice périlleux relevé ici avec brio, L’oeil-vérité est l’une des expositions de la collection les plus foisonnantes avec un compromis entre une thématique autorisant certaines largeurs et permettant des dialogues précis et signifiants entre des œuvres de haute tenue. Autour de la question de l’oeil, définitivement plus complexe que le seul spectre du sens qu’il englobe, l’exposition explore ce qui se montre, ce qui se dérobe, ce qui prend le parti de s’exposer et ce que se faire voir veut dire. Un risque assumé avec la présentation, en début de parcours, du jeu de faussaire de Jacques Charlier, répertoriant à travers quinze tableaux qu’il a lui-même réalisés et accompagnés d’une notice biographique de leur auteur imaginaire, autant de mouvements de l’art du XXe siècle.Ambiguë et moins potache qu’elle n’y paraît, l’entreprise elle-même se pare d’une troublante indécision, retenant les excès parodiques pour s’enfoncer dans un réalisme inattendu. Comme si, pour approcher le réel, il fallait en gommer les aspérités et miser sur l’absence de signes purement distinctifs. Le contraire d’une parodie en quelque sorte, qui annonce d’emblée la difficile mais nécessaire entreprise d’autocritique pour tout observateur de l’art et la nécessité de rappeler que l’œuvre est d’abord un objet par essence purement singulier avant d’être le produit de son temps, quand bien même elle en porte les stigmates.
Tout commence donc par une histoire de trompe-l’oeil, de faussaire. Et dès qu’on touche à la vue, on entre dans l’apparence ; la vérité à travers l’oeil est une conquête, une odyssée qui emprunte à la science du regard les moyens de dépasser la réalité.
Multipliant les médiums, les thèmes et les exigences formelles, les œuvres s’enchainent sans temps mort et parviennent à unir les multiples directions esthétiques empruntées depuis près d’un siècle par une histoire qui, puisqu’il s’agit de lui, est toujours proche d’une réflexion le portant à s’observer lui-même et engageant le spectateur à questionner son propre regard. Une gageure dans ce panorama d’œuvres parfois riches d’une autorité que l’histoire leur a conférée qui leur offre, sans les dénaturer, une profondeur supplémentaire.
Car il est question ici de la transition d’un art dit moderne à sa qualification de contemporain, lecture qui sous-tend la progression d’un fil moins fracturé qu’il n’y paraît. Embrassant toute la complexité (voire les incohérences) de cette dichotomie forcément sujette à débat, l’exposition L’oeil vérité met en jeu des moments de la création qui illustrent, à travers des exemples concrets, les zones de différenciation ou d’indécision qui jalonnent cette transition. Refusant toute dialectique définitive mais aussi tout arasement relativiste, le dialogue (plus que la confrontation) entre des œuvres d’époques traversées par des enjeux différents mettent à mal la portée uniquement chronologique de la catégorisation. Dans tous les cas, l’œuvre est replacée pour ce qu’elle est avant de questionner le cadre dans lequel elle s’inscrit. Quelle idée force en effet préside à sa réalisation et comment sa réception par l’oeil en dit plus sur notre manière de définir l’histoire que sur une frontière lisible des pratiques ?
De thématiques aventureuses déclinant les adjectifs autour de l’oeil, le parcours décline avec plaisir son exploration joyeuse et sérieuse qui alterne les cadences, offrant des instantanés saisissants comme des plongées plus fouillées dans des démarches singulières. On notera parmi les grands moments du parcours un fantastique tableau de Gilles Aillaud (avant-goût de sa grande exposition à la rentrée à Beaubourg), un troublant polyptique de Michèle Katz (1938), aussi organique que profondément conceptuel (Derrière le ciel il n’y a rien, 1, 1983), un superbe Peter Saul, drolatique et teinté d’une profonde mélancolie (Businessman n.6, 1963), des Martin Barré radicaux et brillants, un Alfred Manessier monumental d’une sensibilité incandescente que l’on n’attend pas forcément dans ce genre de parcours, un bronze formidable de Germaine Richier (Trio I ou La place, 1954), un vibrant et profond tableau de Jean Messagier (Le Grand Equipage du Val-de-Marne, 1986) et une fantastique toile de Robert Malaval (Amalia Nuit, 1977). Une liste impressionnante et loin d’être exhaustive des sensations qui rythment une visite décidément éblouissante qui n’obéit qu’à la sensibilité de ses commissaires, contagieuse.
L’exposition marque ainsi une volonté d’explorer l’histoire, une histoire audacieuse à travers des pièces peu connues, souvent même inattendues par rapport aux corpus des artistes en question qui articulent exploration dans le temps et expérimentation, observant l’histoire dans son mouvement et sa fluidité fuyante plus que dans son séquençage linéaire. Ce premier essai de Nicolas Surlapierre délivre ainsi avec une évidence rare une formidable preuve de qualité pour le programme à venir et une indication d’une direction qui renouvelle autant qu’elle prolonge la politique si brillante de la maison Mac Val.