Le Palais des villes imaginaires — La Ferme du Buisson, Noisiel
Avec Le Palais des villes imaginaires, la Ferme du buisson accueille une exposition collective qui confronte les visions et visées de la ville pour en penser le rôle historique ainsi que le développement et les mutations à venir.
« Le Palais des villes imaginaires — Exposition collective », La Ferme du Buisson, Centre d’art contemporain du 26 mars au 24 juillet 2022. En savoir plus Inspiré par l’ouvrage d’Italo Calvino évoquant la relation de Marco Polo à la cité imaginaire de Fedora, l’exposition prend le parti initial de l’imaginaire pour déployer de multiples problématiques qui abordent, dans tous les cas, la question de l’empilement, de l’entrechoc d’éléments épars, de lignes contradictoires et d’intérêts pluriels au sein d’un lieu unique. S’il n’est pas assez développé ici, cet enjeu majeur qui pose la ville comme concept, par essence, proche d’une utopie, n’en demeure pas moins sensible et les incompatibilités, les impasses et hétéronomies prennent un sens matériel loin d’être stérile.Car le parcours, à la manière des « sphères » du palais évoqué chez Calvino, privilégie la juxtaposition d’œuvres de qualité hétérogènes plutôt que l’articulation d’une réflexion dirigée ou d’un véritable dialogue entre les pièces. Dans sa mise en scène plus analogue à une constellation qu’à une progression, Le Palais des villes imaginaires permet la mise en valeur de sections particulièrement fortes avec, en premier lieu, la réactivation de pièces « historiques » d’Alain Bublex dont la confrontation continue de souligner la portée.
Dans la pénombre d’un décor parsemé d’éléments de théâtre appartenant à la scène de cette même Ferme du Buisson, il déclenche une litanie de sons et d’images qui s’entrechoquent. Glooscap, premier projet de ville imaginaire de l’artiste développé dans les années 1990 bruisse encore de l’accumulation de ses chantiers, jamais réalisés mais toujours possibles. À rebours de la question de l’anticipation, de la science-fiction ou du futurisme, l’artiste élaborait avec ce projet l’histoire et la biographie d’une ville anonyme du vingtième siècle qui, comme toute ville anonyme, jouissait de sa propre mythologie, de son développement et d’une plasticité urbanistique dont l’intérêt tenait tout entier à sa potentielle existence. Réalité parallèle aussi plausible que fausse, Glooscap creusait dans le cours de la vérité la faille d’un possible. Son invention et l’expérience de l’esprit qu’elle autorisait satisfaisait non plus un dessein fantasmatique ou fantastique mais synthétisait bien plutôt une somme de connaissance et embrassait à sa manière le mouvement toujours en cours d’une multiplication maquillée comme une nécessité anthropologique de lieux de concentration des services et d’habitations. Le sens est plus que jamais d’importance. À ce projet, aussi intelligent que plein d’un décalage et d’un sarcastique salutaire, Bublex adjoint d’autres créations qui, à leur tour, instillent dans le réel un subtil point de fuite qui le détourne sans le masquer pour en révéler encore mieux les points essentiels, qui n’ont rien de saillant donc.
À l’opposé des perspectives vertigineuses des dessins de François Schuiten, élaborant avec une précision et un réalisme confondants des fantaisies architecturales dont la radicalité n’a pourtant rien d’utopiques, si ce n’est peut-être de détourner la tendance de concentration des services et aménagements au profit d’une mise en valeur de l’espace et de la nature. Là cohabitent ainsi les enjeux d’une architecture embrassant les possibilités de leur lieu ais aussi les temporalités, les inventions technologiques se rencontrant et fondant leurs particularismes dans un creuset qui les relie pour mettre en valeur leurs vertus spécifiques.
En contrepoint et riche d’un procédé plastique particulièrement fin, Capucine Vever mêle, elle, une réflexion historique et empreinte de philosophie derridienne dans l’appréhension d’une ville « nouvelle », sans histoire donc, que des disques suspendus matérialisent dans l’espace. Issus des observations topographiques qu’elle a multipliées au cours d’une résidence, ils portent sur l’une de leur face la concrétion matérielle des lignes tracées à l’aide d’un outil d’observation, l’orographe. Chaque œuvre, circulaire, s’inscrit dans une perspective d’observation renouvelée, où la ligne rejoint son origine comme pour offrir sa propre interprétation du temps. Échafaudant, à l’aide de nouveau procédés de lecture, une nouvelle écriture de l’espace, l’artiste poursuit son entreprise de narration alternative de géographie, dont la richesse et les solides fondations, faites d’intuitions intellectuelles, d’analogies artistiques et de curiosités historiques imposent la poétique singulière ici toujours aussi efficace.
Riche du bel apport du « cabinet des utopies » au centre du parcours, constitué d’une littérature passionnante comprenant notamment Debord, Fourier, Yona Friedman, Le Corbusier ou Claude-Nicolas Ledoux mais aussi de véritables visions d’artistes, l’exposition de la Ferme du buisson convoque ainsi des idées passionnantes autour de la ville qui, tout en laissant une grande part à l’imagination et à l’anticipation, invitent à reconsidérer l’urgence de penser notre manière de l’habiter et, partant, d’y écrire notre histoire.