Mark Geffriaud — Le Plateau
Avec Deux mille quinze, Mark Geffriaud poursuit au Plateau son exploration des limites et de la durée, poussant avec délice les frontières du temps et de l’espace. Le projet présenté ici n’est en rien achevé, il continue de se déployer durant le temps de l’exposition et questionne, tout en ne cessant de se questionner, les conditions de perception du temps. Une installation qui, dépouillée de toute vélléité pédagogique, nous plonge sans autre forme de procès au cœur d’un voyage mental et révèle une démarche bien plus inclusive qu’il n’y paraît.
« Mark Geffriaud — Deux mille quinze », Frac île-de-france, le Plateau du 22 septembre au 11 décembre 2016. En savoir plus Uniquement constituée d’images tournées lors de repérages, l’installation de Mark Geffriaud déploie une multitude de paradoxes, hiatus et contradictions. D’abord en ouvrant une première faille temporelle ; l’artiste s’attache en effet à deux sites particuliers, l’un peuplé de pierres mystérieusement abandonnées depuis au moins un millénaire, l’autre voué à recevoir, dans le futur, le plus grand télescope du monde (dont la portée pourrait permettre d’observer la disparition passée de planètes). Plus encore, on apprend en plus qu’entre ces deux territoires vit la seule civilisation qui perçoive le passé face à elle quand le futur est, lui, derrière elle. Le plan de travail de Mark Geffriaud, en plus de perturber les conventions temporelles, convoque l’ensemble des champs de la pensée et organise la rencontre de la science, de l’histoire, de l’art et de l’imaginaire comme un alchimiste plonge dans un tube à essai des molécules éparses jusqu’à l’obtention d’un précipité. Mais ce kaléidoscope de pistes, d’idées et de possibilités ne cesse jamais sa rotation et, à travers sa lentille se révèle un horizon toujours différent et complexe.Dans le large espace du Plateau, de nombreux vidéoprojecteurs aux focales différentes diffusent en décalé un film quasi-identique tandis que la bande-sonore, plus courte résonne en arrière-fond. Pour accentuer ce décalage, un cache greffé au-dessus de chaque projecteur en obstrue régulièrement le faisceau lumineux. Au sol, des tuyaux courent et alimentent une machine permettant de fermenter les aliments dont la dégustation viendra ponctuer le temps de l’exposition.
Selon l’ordre des images et le moment de leur perception, les mots qui les accompagnent prennent un sens différent, sèment la logique et, réciproquement, les images contrarient les premières appréhensions que l’on en a. Ici, tout est affaire de suspension, d’incertitude flottante, une déambulation sur la terre sans repères, temporels ou spatiaux, des annotations, des cartes qui n’en sont pas, des dessins dont on ne perçoit que l’élaboration sans jamais en percevoir la totalité que résume la formule de l’artiste, certaine de sa triple incertitude : « Une forme de construction définitivement inachevée ». Pourtant, se dégage un véritable herbier d’objets qui, apparaissant souvent en gros plan, étalent leur sensualité. L’image flatte et déroute ; le temps ne s’écoule plus, il se déroule de toute part, englobant en son sein futur et passé.
La scénographie parvient à rendre dans l’espace ce tâtonnement, cette expérimentation d’une recherche en développement qui, par le hasard des perspectives, des conjugaisons de mots et d’images, constitue une invite à l’émergence de l’objet, à sa circonspection. Mark Geffriaud nous enjoint à faire l’expérience de la recherche, à emprunter à ses côtés en quelque sorte la route sinueuse de la compréhension, quitte à en subir également les doutes et les revers. Un choix qui redéfinit la valeur même du terme d’exposition, la mise à distance de sa propre production dans un autre espace, dépouillée de tout sentiment d’autorité, de toute valeur a priori qui la légitimerait en tant qu’objet de contemplation. Ici, le partage est une mise à plat, un « étalage » en continu qu’il nous appartient d’emprunter.
Car derrière les profondes références à la science, l’exploration de rapport de durée, Mark Geffriaud offre une lecture qui laisse prise à l’imaginaire et réussit à faire affleurer cette poésie de la contemplation dans l’acte de réflexion, nous introduisant dans ce monde avec un regard décalé mais pluriel. De la distance initiale émerge alors une indicible familiarité, une mémoire à rebours qui érode le présent pour amorcer un la mémoire d’un passé à venir.