Mémoires vives — Fondation Cartier
Depuis 30 ans, la fondation Cartier anime les débats autant que la vie culturelle parisienne en orchestrant des expositions aussi peu conventionnelles que, pour certaines d’entre elles, indiscutablement réussies. « Mémoires Vives » constitue ainsi une séance de rattrapage des travaux, collaborations et projets de la fondation Cartier depuis ses débuts.
« La Fondation Cartier — 30 ans de mécénat libre et généreux », Fondation Cartier pour l’art contemporain du 10 mai au 21 septembre 2014. En savoir plus Si l’on pouvait craindre d’un tel événement un commissariat en demi-teinte, les rapports entre les artistes présentés étant assez ténus et l’ambition plus proche de l’auto-célébration que de la remise en question, ce premier accrochage d’une exposition dont les œuvres vont être remplacées tout au long de l’année révèle de très belles surprises. Et ce, malgré une disposition de travaux sans problématiques communes dans l’imposant rez-de-chaussée de la fondation. De l’avion modifié Kelvin 40 (2003) de Marc Newson aux toiles grands formats de Chéri Samba en passant par le bestiaire imaginaire de Takeshi Kitano ou la sculpture d’Alessandro Mendini, la répartition sans relief a des allures de foire au spectaculaire… Si certaines des pièces présentées sont intéressantes, l’exposition ne les valorise jamais vraiment et tend même, dans la confusion, à les réduire.Un problème radicalement contourné au sous-sol avec l’œuvre de Dennis Oppenheim, Table Piece (1975), mettant en scène deux pantins dans un échange de ping-pong verbal installés chacun à l’extrémité d’une table immense qui vient littéralement couper l’espace en deux participe pleinement à cette expérience singulière. Répétant selon un agencement aléatoire un des autre mots « Black », « White », « Dark », « Light », les deux marionnettes créent une musique expérimentale intrigante, où la familiarité de la langue se mêle à l’incongruité de la répétition. Dans ce brouhaha, la mise en perspective des dessins de David Lynch qui semblent, dans leur minimalisme et leur création d’un langage secret de lignes et couleurs, faire écho aux très beaux carnets de Mœbius. Ailleurs, une femme de plasticine gigantesque de Ron Mueck, icône de la fondation Cartier depuis ses deux expositions à succès dans l’institution, pose son regard vide et impose à son tour une certaine atmosphère empreinte de bizarrerie, de drôlerie inquiétante et, à tout le moins, d’« étrangèreté » à notre propre réalité.
Mais c’est finalement l’installation de Cai Guo-Qiang qui, à sa façon, justifie et donne tout son sens à cette rétrospective de la fondation. En mêlant ses dessins ainsi que les toiles de sa femme au fil narratif de sa collaboration avec la fondation, Cai offre un regard passionnant sur l’histoire de l’institut, son lieu et sa découverte, conjointe avec sa compagne, d’un îlot propice à la création. Plus encore, il tisse une série d’œuvres faite d’échos à l’engagement de la fondation auprès d’artistes, intervenant directement dans l’imaginaire et le processus du créateur. On découvre ainsi une facette moins connue de son travail, imprégnée de souffre et de marques d’explosion ; le stigmate devient pinceau d’une création lucide et chargée d’histoire.
En ce sens, si l’on regrette que cet anniversaire n’offre pas l’occasion d’une réflexion plus complète sur la vie de la fondation Cartier, la remise en question d’une spécificité qui a fait d’elle l’objet de critiques comme de louanges et installé au premier rang des institutions parisiennes, ce dessin en creux d’une collection aussi peu conventionnelle que pointue et, en tout état de fait, singulière, mérite largement de relancer les débats et lui redonne, d’une façon inattendue, le souffle qu’elle mérite.