Noémie Goudal — Le BAL
Avec cette première exposition monographique de Noémie Goudal à Paris, Cinquième Corps, le Bal dévoile l’univers singulier d’une photographe dont la majesté des œuvres cache une réflexion profonde et jouissive sur la condition humaine. Ancrées dans le réel, ses images nous projettent sur une terre « éthérée » dont l’indicible bizarrerie semble se faire l’écho d’un monde ancestral, spectral et dépeuplé où la seule figure humaine consiste en une ronde silencieuse de plongeurs jetés au milieu d’une étendue d’eau mystérieuse sur une structure de béton absconse.
« Noémie Goudal — Cinquième Corps », Le BAL du 12 février au 8 mai 2016. En savoir plus À l’étage, les premières séries lunaires présentent des paysages dont on reconnaît les signes mais dont le disque barrant le centre altère la perception et prépare le voyage vers un monde alternatif. Matérielles et concrètes, ces compositions repensent la question du paysage en en modelant directement la focale, renvoyant autour de ce cercle primaire les éléments significatifs. Muettes, elles représentent autant d’énigmes qui laissent vaquer l’imaginaire vers des fictions légendaires dont on pressent l’attirance pour les dimensions parallèles, les enveloppes immatérielles d’un éther redécouvert. Une forme d’onirisme grave que la seconde partie de l’exposition, peuplée d’installations réalisées spécialement pour l’exposition, va faire sortir de son silence.Au cœur d’un dispositif monumental, des parois inclinées surmontées de photographies d’éléments architecturaux photographiés dans leur contexte d’origine, l’artiste nous confronte à une série d’œuvres plaçant en leur centre des bâtiments imposants comme jetés là, pures étrangetés au milieu d’un cadre naturel vaste, vierge et majestueux.
Si la trace et la construction réactivent une certaine aura de la photographie industrielle du XXe siècle, entre objectivité documentaire et accumulation fascinée, on s’aperçoit rapidement que ces structures, loin du béton dont elles paraissent constituées, sont faites de papier telles des étendues sans relief, voire sans « fond », suspendues dans un espace tridimensionnel. C’est alors toute la dimension de planéité de la photographie qui se trouve répétée, inscrite une seconde fois dans l’espace de la représentation. Étonnamment, le fantôme de Magritte ressurgit de ces espaces sans nom, « ceci n’est donc pas un paysage » ? Précisément si, une recomposition mentale d’un espace fantasmé qui invente ses propres règles et ses propres incohérences avec les pliures du papier, mais surtout la tension entre la légèreté des structures qui l’habitent et la pesanteur visuelle qu’elles imposent.
De cette fragile hésitation naît immanquablement un hiatus à peine perceptible qui renverse ces horizons et rejoint la volatilité de l’éther, ce Cinquième Corps qui se cache jusque dans notre regard. On perçoit ainsi des bases monumentales en lévitation, des décors irréels qui, tout comme l’humanité, s’approprient et redessinent le monde à l’envi, s’immiscent dans les lignes de la nature pour y façonner leur propre architecture.
Ce décalage entre immensité grandiose d’une nature célébrée par un grain flatteur et fragilité perceptible de son décorum artificiel déjoue la seule mélancolie métaphysique de ces paysages pour pénétrer insidieusement un surréalisme mutin qui nous renvoie à nos propres illusions, glissant avec délice sur la frontière plastique entre humanisme triomphant et illustration par l’absurde de la trace nécessairement éphémère de notre pouvoir sur terre.