Nos îles — Fondation François Schneider, Wattwiller
La Fondation François Schneider, nichée au cœur du village de Wattwiller, a la spécificité d’être uniquement dédiée à la question de l’eau, sous toutes ses formes. Outre le prix Talent contemporain, elle propose des expositions collectives qui racontent différentes histoires à partir de l’eau, comme bien commun et élément vivant qui nous rassemble.
« Nos Iles », Fondation François Schneider du 30 avril au 18 septembre 2022. En savoir plus Nos îles interroge la notion d’insularité sous divers points de vue. L’exposition se déploie selon un récit propice à des explorations ainsi qu’à des découvertes, des immersions dans des territoires, où trouver refuge et contempler la nature. Cette exposition constitue le prolongement de « L’Atlas des nuages » . Littérature, représentations dans les arts, les îles traversent les œuvres. Elles renvoient au naufrage, à une quête d’un certain exotisme, au désir d’un lieu à soi, où chercher des repères… L’architecture de la fondation permet un cheminement progressif, nous amenant à prendre le temps de pénétrer dans l’univers d’un artiste et de tisser des relations avec des souvenirs de sensations vécues lors de périples. Le livret de visite, conçu comme un journal de bord, nous accompagne dans notre exploration des îles, à la fois proches et lointaines. À proximité des œuvres, des textes de différents auteurs proposent une autre lecture de l’insularité. Il est d’abord question d’un naufrage avec l’installation sonore C’est du vent de Philippe Lepeut. Dans une salle sombre, nous sommes conviés à nous arrêter pour écouter les sons d’une journée de tempête. Puis, la vidéo Vexation Island de Rodney Graham montre un corsaire échoué sur une île… Nous pouvons être troublés face à une situation quasi-grotesque qui se répète.Abraham Poincheval est familier de l’enfermement et de l’isolement dans ses projets artistiques. Son dessin préparatoire montre sa bouteille « Grand cru », géante, dans laquelle il habite à plusieurs reprises, en remontant le Rhône de la Camargue jusqu’à Genève. L’installation Le Refuge, réalisée par Stéphane Thidet, rend compte d’un moment suspendu, étrange : une forte pluie fragilise un habitat en bois. De là peut naître un basculement de la réalité vers la fiction. Les grandes baies vitrées s’ouvrent sur le jardin de la fondation, d’où nous percevons l’installation de Sylvie de Meurville. Notre regard est tantôt attiré vers l’extérieur, tantôt vers l’intérieur de cette cabane, dans laquelle nous ne pouvons plus nous abriter.
Quête d’exotisme, l’île appelle à un désir de s’extirper du quotidien pour imaginer de nouveaux possibles. François Génot a débuté en 2009, une série d’œuvres, des îles qui apparaissent à partir de végétaux trempés dans la barbotine de faïence. Ces pièces en porcelaine émaillée et en faïence incarnent la fragilité d’une nature à proximité. L’île fait autant écho à la solitude qu’à un monde en état de bouleversement. Le travail de la matière est également au cœur de la pratique de Sébastien Gouju. Une fougère et un palmier noirs, mystérieux, réalisés en cuir, lors d’une résidence dans un atelier de ganterie par la Fondation Hermès, constituent des nouvelles espèces entre plantes d’intérieur et végétaux issus d’une contrée aussi bien féérique que suscitant une certaine crainte. Plus loin, d’autres créatures hybrides nous rappellent nos désirs d’exotisme, notre besoin d’évasion, même parfois dans nos esprits, tel un remède à notre quotidien, bien souvent trop préoccupé. Cette série d’œuvres Totem-Voyage d’Axel Gouala associe recherche d’un ailleurs, d’une détente et tâches ménagères.
En pensant à l’île, des problématiques actuelles ressurgissent. Il est question d’isolement, d’expériences de mise à l’épreuve, de confrontation avec des territoires difficiles d’accès. La série de photographies de Yohanne Lamoulère en témoigne, récit d’un confinement durant laquelle elle trouve refuge dans un territoire de possibles, sur un des bras du Rhône. L’installation vidéo Yali d’Olivier Crouzel met en évidence un fait problématique qui échappe au regard des touristes. Cécile Beau a vécu une relation forte aux éléments durant sa résidence Finis Terrae sur l’île de Ouessant. La puissance des falaises découpées est renforcée par le fond d’un blanc si pur qu’il en devient difficile de percevoir l’échelle.
L’exploration d’un territoire insulaire induit également sa représentation cartographique. Les cartes sont de formidables surfaces à partir desquelles rêver et s’imaginer de potentiels voyages dans le temps et dans l’espace. Les quatre sérigraphies sur couverture de survie de Benoît Billotte montrent des cartes d’îles, dont la technique de représentation, des dénivelés hachurés, fait écho à celles de cartes anciennes. Celles-ci continuent de nous intéresser par la beauté des codes graphiques typiques du XVIIIe siècle. Brankica Zilovic tente elle de recoudre le monde, celui qui se dilate, s’étend, dans sa carte tuftée. L’artiste fait émerger un nouveau territoire, où le fil est métaphore des liens, de la vie. Retour sur une expérience d’écoute avec la chimère On Air de Philippe Lepeut, qui nous transporte ailleurs. Cette œuvre pourrait trouver sa place dans un cabinet de curiosités, ces lieux qui rassemblent aussi bien des artéfacts que des éléments naturels. Songeons aux toponymes, ils véhiculent toutes sortes de réflexions aussi bien liées au tourisme, aux flux qu’à la géologie. Les onze boucles vidéo de Pauline Delwaulle composent des indices pour appréhender les particularités des terres insulaires.
Nos îles, ne sont-elles pas ces lieux de désir, d’imaginaire mais également de découverte de soi-même ? Certains artistes œuvrent à l’occasion de voyages lointains tandis que d’autres créent des espaces favorisant l’imaginaire. Heureux ou tragiques, ces voyages nous invitent à nous interroger sur notre relation à l’isolement, à un désir d’un ailleurs lointain, pour s’extraire du quotidien pendant un moment. La visite de ce centre d’art se poursuit dans le jardin avec la collection de sculptures du XXe et du XXIe siècles qui ont été acquises au fur et à mesure des années. Ainsi, la Fondation François Schneider ne serait-elle pas comme une île où l’art contemporain trouve une place de choix ? Ce lieu, situé au pied des Vosges est également propice à la sérénité, à la contemplation de paysages et aux œuvres qui interagissent avec l’eau sous toutes ses formes.
Ainsi, cette exposition collective nourrit des réflexions autour des relations entre art contemporain, territoire, histoire, géographie et sociologie. Elle se découvre comme un récit… Plusieurs livres ou cartes peuvent être ouverts en relation avec les œuvres présentées. Chaque univers artistique nous guide vers un lieu et d’une exploration naît l’envie possible d’aller à la rencontre des vivants qui l’habitent.
1 « L’Atlas des Nuages », exposition de 25 artistes en 2018.