O ! Watt up ? — Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent
Du 18 mai au 23 juillet, la Maison d’art Bernard Anthonioz présente une exposition originale autour de Watteau, à laquelle elle est intimement liée. Neuf artistes dialoguent ainsi autour de cette figure majeure de la peinture.
« O! Watt Up — De Watteau et du theatre », La MABA du 18 mai au 23 juillet 2017. En savoir plus Décédé en 1721 à Nogent-sur-Marne, Jean-Antoine Watteau devient des années plus tard l’acteur involontaire d’une supercherie visant à protéger le bâtiment qui abrite l’actuelle Maba arguant de la présence du peintre, dans ses derniers jours, au sein de ce parc somptueux qui la borde. Pied de nez festif et drolatique à une histoire cocasse, faite de doutes et de légendes, l’exposition O ! Watt up ? s’empare de cet épisode pour inviter des artistes à poursuivre la réflexion autour de la figure du peintre légendaire de la fête galante. Face au mensonge et à l’invention, la Maba prend ainsi le parti vivifiant de la mascarade, du détournement, jusque dans le titre de l’exposition et de l’irrévérence. Mais plus encore, à travers toutes les interventions contemporaines, presque exclusivement constituées de peinture, elle questionne avec force l’actualité d’un regard, celui de l’artiste sur son époque et sa capacité à en offrir une lecture singulière, à inventer le monde qui lui permettra d’en dire sa perception, tout en maintenant ouvertes les conditions de sa réinvention.De la peinture de Watteau émane un mélange de matérialité, de chair sensible dans des paysages-décors irréels, un souci de l’apparat qui ne tranche ainsi pas avec la nature foisonnante. Cette surréalité est à l’honneur dans les œuvres présentées qui, toutes à leur manière, explorent la tentation du spectacle, la représentation de l’ordinaire galant et la compréhension d’un quotidien dans des monde repensé, offrant ainsi une possibilité de le percevoir différemment.
Ouvrant le parcours, les toiles d’Emmanuelle Villard empilent strass, colliers, coquillages et miroirs dans des compositions ostentatoires qui, si elles jouent sur les symboles de la peinture classique, s’émancipent de tout cadre pour offrir un objet qui comprime les sentiments. Entre trophées exposés des atours féminins et opulence excessive de la couleur, on pénètre une « scène » où la beauté se pare des traits du kitsch pour s’émanciper de sa seule force de séduction. Car il y dans ses œuvres, comme à son habitude, une part d’esthétique déceptive qui nous maintient hors de tout attachement, un trop-plein de couleurs, un trop-plein d’histoires que l’on ne déchiffre pas, un trop-plein également du spectateur qui se voit reflété par les fragments de miroirs s’il s’approche trop de la toile, comme toute déception d’un dévoilement, d’un lever de rideau trop précoce. Comme s’il était toujours déjà trop tard, la série s’appelle Levé de rideau. Loin de banaliser cet envers de la mascarade, les œuvres d’Emmanuelle Villard en dressent un portrait symptomatique, plein de sa superbe comme de son effritement, de sa beauté magnétique comme de la monstruosité que l’excès d’artifice ne parvient pas à camoufler entièrement.
Dans la salle suivante, une installation d’Anne Laure Sacriste bien pensée oppose deux rives dans un espace découpé par un panneau à deux motifs. L’un, aux couleurs accueillantes et festives fait face à deux découpages qui dessinent des figures simples où noir et blanc se côtoient et complètent avec une évidence certaine, renvoyant à l’opposition primaire de la présence et de l’absence. La seconde, bien plus sombre, accompagne des héliogravures d’une terrible beauté qui organisent des rapports complexes entre les couleurs, les matières, jouant de l’effacement et de l’apparition spectrale, indéchiffrable.
Une indécision, un mode trouble et pourtant émergé de la banalité semble se retrouver chez Maude Maris. En suspens, l’horizon qui barre ses toiles est, lui, fabriqué de toute pièce à partir d’un decorum secret qui préside à la composition de ses toiles. En effet, elle conçoit ses peintures en disposant, au préalable, un agencement d’objets sur une surface que sa peinture va unifier et projeter dans une dimension solitaire. Seule la silhouette de ces objets, vestige de leur matérialité, semble survivre, abandonnant tout respect de l’échelle, de matière pour en faire des reliefs imposants et que le travail sur la surface permet de rendre encore plus ambigu, usant d’effets d’irisations qui renvoient aussi bien à la minéralité qu’à l’organique de chimères troubles.
Jouant plus ouvertement du spectaculaire, le foisonnement délirant et jouissif d’Ad Minoliti exploite l’histoire de l’art pour offrir des compositions complexes, systèmes mondes dont on perçoit les lignes de fuite, les signes sans jamais se voir rassuré ou porté. Chaque regard est une nouvelle énigme qui s’ajoute et nous déboussole avec ces figures irréelles qui maintiennent le doute entre scènes intimes et mises en scène avec ces silhouettes en premier plan devant le décor. À l’évidence, ce travail de peinture est un véritable puits d’inventions où chaque élément dialogue selon une logique que l’on entend mais qui nous dépasse.
Dans sa succession de beaux décalages, O ! Watt up ? convainc donc sans mal et offre un panorama très réussi autant qu’une relecture audacieuse de la figure illustre de Watteau, sans pour autant perdre de vue le recul nécessaire à une interprétation fructueuse, débarrassée de toute admiration béate. On peut malgré tout regretter un nombre d’œuvres qui aurait certainement pu être plus important et aurait fait de ce parcours une célébration foisonnante de la peinture. Mais cette économie de propositions, si elle peut paraître un peu frustrante, n’en permet pas moins une certaine poésie de la chute, une invitation à pénétrer ces univers singuliers accueillants ou hostiles, nous plaçant toujours derrière le rideau.
En témoigne la très belle pièce consacrée à l’œuvre d’Anne Brégeaut qui nous confronte à une photographie débordée par la peinture, qui s’élance à travers des motifs dont la perspective bancale et la raison semblent échapper à la logique. De la symbolique de Derrière le miroir de Lewis Carroll avec cette « heure du thé » naît une question d’un réel fabuleux et bancal où l’attention portée aux détails participe d’un brouillage des sens communs. Tout ici devient signe et s’inscrit dans la farandole d’un temps qui s’écoule en parallèle, que l’on est invité à deviner plus qu’à percevoir. Un même jeu de suggestion anime d’ailleurs l’œuvre de Patrick Corillon et sa phrase énigmatique qui renvoie aussi bien au vide de son mur peint qu’à la présence aléatoire et bien visible des cotillons disséminés dans le parcours de l’exposition. Le décor abandonné d’Alex Cecchetti lui répond directement. Témoin silencieux d’une performance passée, il en garde les stigmates (rideau, gants, etc., autant d’accessoires nécessaires à toute représentation) et ferme avec une belle pudeur ce parcours qui ne manque pas de réveiller une certaine mélancolie.
Évitant ainsi l’écueil de l’excès, l’exposition offre une réponse pertinente à la peinture de Watteau, sans jamais tomber dans la caricature tout en éprouvant la limite de la fête, de la représentation et de la théâtralité. Car derrière la célébration, le carnaval et le masque il y a aussi constamment une part de vide et de mort qui point comme le dard tragique d’un temps que l’on ne peut fuir que dans l’éphémère.