Performance TV — Maison d’art Bernard Anthonioz, Nogent
La MABA expose dans son somptueux espace un ensemble d’œuvres d’artistes femmes autour de questions liées à la performance et à la vidéo. En prenant pour point de départ l’histoire du lieu et la figure de l’artiste Esther Ferrer, la commissaire Mathilde Roman a orchestré les différentes visions de sept femmes aux pratiques multiples.
« Performance TV », La MABA du 31 mai au 22 juillet 2018. En savoir plus Quels sont les rouages et tensions résidants entre la pratique de la performance et celle de la vidéo ? Ce sont les problématiques majeures que l’artiste espagnole Esther Ferrer (née en 1937) formule entre 1983 et 1985 en répondant aux invitations de festivals vidéo par l’association — jusqu’alors pensée contradictoire — des mots performance et TV. Si l’un résonne avec spontanéité, éphémère et hasard, l’autre se complaît dans l’idée de reconstitution, de reproductibilité et de différé. C’est de cette confrontation qu’est née l’exposition qui réunit aujourd’hui Anna Byskov, Tacita Dean, Hélène Delprat, Esther Ferrer, Lidwine Prolonge, Laure Prouvost, et Cally Spooner. C’est donc dépeuplé de figures vivantes que l’on découvre l’espace du MABA, les actions performatives sont déléguées aux divers moniteurs et autres médiums de retranscription. Un monde de reconstitution mentale et physique s’offre à nous.Tout de suite, on décèle le désir de ritualiser, sinon la volonté prononcée de mettre en scène la déambulation et la découverte des œuvres. Le parcours de l’exposition est une procession — si l’on veut en croire le plan que l’on reçoit à l’entrée — dirigée par des flèches qui schématisent notre marche. L’instinct porte le visiteur vers l’œuvre-mère de l’exposition, celle d’Esther Ferrer, au début de la première salle. Nez à nez avec les dessins naïfs et épurés, les maquettes, les photographies, les dessins, les vidéos et les textes de Performance TV (1984, 1985, 2018), le visiteur est amené à découvrir la clef de voûte de l’exposition. Lexique de la retranscription, les performances d’Esther Ferrer furent alors présentées en Espagne dans le cadre de festivals dédiés à la vidéo. Pour manifester son positionnement radical vis-à-vis du médium vidéo qu’elle trouve morne et accablant, elle prend le risque d’intégrer à ses performances un système de captation et une dimension live qui prend le public en considération. Ici, c’est le processus de cette recherche passée que l’artiste propose : des objets précieux qui incarnent et transmettent — avec toute la liberté que le spectateur peut y injecter — une image mentale de la performance.
Ponctuées très sobrement au mur, au sol ou dans l’espace (visuel et sonore), les quelques œuvres se révèlent délicatement, presque avec timidité. La tapisserie de Laure Prouvost s’anime grâce à la projection d’une mise en scène qui s’amuse des comportements de la masculinité en parodiant le Manneken Piss. Cachée dans un coin, une vidéo de Lidwine Prolongue (Le Cinéma des Sœurs Smiths) prend racine dans l’histoire du lieu et tourne en boucle. L’artiste poursuit cette dissimulation discrète d’œuvres dans le jardin avec une belle tentative d’expérience au casque. À mi-chemin entre le rite initiatique et un CD de méditation faussement New Age, l’artiste scande un texte qui peine à nous faire avancer mais qui prend pour contexte l’impressionnant parc du domaine. Il faudra (sûrement) patienter pour rentrer dans la pièce de projection de l’œuvre de Tacita Dean (Event for a stage, 2015) qui est diffusée à heure fixe. Un office d’autant plus cérémoniel que la vidéo en 16mm est diffusée grâce sur un projecteur dédié, avec toute la lenteur de précautions, de sons grinçants et fragiles que cela implique.
L’exposition Performance TV à la MABA propose une expérience liturgique, avec toutes les lenteurs d’une messe, mais qui réécrit adroitement les réflexions de plusieurs générations d’artistes autour d’œuvres-reliques. Si le statut de la femme y est largement convoqué, ce rassemblement interroge pertinemment son public en impliquant le spectateur dans une œuvre qui flirte avec la tension d’un art éphémère et d’un art de la reproductibilité.