Anish Kapoor — Galerie Kamel Mennour
Toujours aussi monumentales et hypnotiques, les œuvres récentes du très célèbre Anish Kapoor contaminent les deux espaces de la galerie Kamel Mennour. Rencontre avec deux typologies d’œuvres qui questionnent leur présence au monde.
Le travail d’Anish Kapoor est un art de sensation et d’espace. Malgré l’habitude (et peut-être parfois la lassitude) rencontrée face à la course au monumental de son œuvre sculptée, les formes qu’il déploie à la galerie Kamel Mennour captent le visiteur par leur matérialité ambiguë. Connu du grand public notamment grâce à son installation Dirty Corner injustement polémique dans les jardins de Versailles, son Léviathan au Grand Palais, ses explosions de peinture au mur (Shooting into the Corner) et l’envolée du prix de ses œuvres, il revient cette fois dans la discrétion intime (toute relative) de la galerie avec des œuvres qui s’arrachent tour à tour la vedette du regard perturbé qui les contemple.
Anish Kapoor exploite les deux espaces de la galerie (séparés de 250 mètres) pour perpétuer l’histoire — son histoire artistique — d’une rencontre conflictuelle des formes. Dans l’espace de la rue Saint-André des Arts, des miroirs circulaires et concaves contrastent abruptement avec les surfaces organiques qui s’étendent avec une force vitale et charnelle.
Ces miroirs, bien que récents, nous en connaissons bien les rouages et les jeux. Sur le même format que tous les miroirs qu’il présente depuis plusieurs années, Anish Kapoor décline une nouvelle fois la formule d’une abstraction immaculée qui nous renvoie une image étrangement distordue de notre monde. Placés les uns à coté des autres, isolés ou dans les coins, ils se répondent de façon épidermique, laissant le spectateur face à une image hallucinée. Comme les icônes d’un futur aseptisé, les miroirs (Mirrors, 2018) nous emporte dans les méandres d’une vision de l’immatérielle.
À la conquête de l’espace, l’œuvre A Blackish Fluid Excavation (2018) vient parasiter cette méditation et notre fétichisme de la forme pure. Comme pour se jouer de notre fascination pour la forme simple, Anish Kapoor nous ramène viscéralement à notre propre matière, celle de notre corps et de nos entrailles. A Blackish Fluid Excavation semble encore dans un processus de métamorphose et s’offre au visiteur avec la sincérité d’une exhibition. D’une forme hermaphrodite, l’œuvre traverse les pièces blanches de la galerie avec la lourdeur d’un cadavre.
Au 6 rue du Pont de Lodi, la géométrie laisse place à un fourmillement de chairs souillées et de matières sanguinolentes qui tentent de s’abstraire des frontières que l’artiste leur a posées. Disposé au sol et contre le mur, un ensemble de grandes toiles (305 × 213 cm) enferment le visiteur dans un univers d’orifices, de plaies mais surtout de matière à l’état incertain. Avec des épaisseurs (peinture et silicone) variant de 70 cm à 1 m, Anish Kapoor montre un travail sur la domestication de la matière et de la forme. Enfermés sous des bâches de PVC, des vulves pas si abstraites cachent des orifices sans fin et des lambeaux d’organes : une autopsie du monde qui questionne avec une puissance indéniable les réflexions d’un artiste sur la difficulté à définir un objet.