Renaud Auguste-Dormeuil — I Was There
Avant l’humour, avant l’intelligence, il y a, chez Renaud Auguste-Dormeuil, la prégnance de l’espace, cette vertu qu’a la surface de cacher en elle la possibilité de son dépassement autant que sa nature carcérale, limitant les sujets qui s’y posent à ses propres frontières autant qu’elle invente ses propres lois. En d’autres termes, chez Renaud Auguste-Dormeuil, chaque cadre, chaque œuvre est une nation.
Une évolution ou une variation logique pour celui qui s’est fait connaître avec ses cartographies de ciel précédant certains bombardements militaires avec The Day Before — Star System (2004). De cartes, il est certes encore question ici avec les cartes postales en relief inversé de Best Wishes, qui appliquent un effet de profondeur au moyen de l’anaglyphe (procédé de superposition d’images inséparable des fameuses lunettes rouges et bleues) ainsi qu’avec la fameuse Visite guidée à thème : Sécurité et patrimoine, qui établit une cartographie des systèmes de surveillance du musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Cette vidéo, qui date du début des années 2000, trouve encore toute sa pertinence dans le travail d’un artiste qui ne se contente pas d’établir des grilles de lecture mais change, une fois de plus, la direction du regard. Avec cette visite guidée, c’est à un double jeu de perspectives qu’il se confronte ; invitant le spectateur à traverser un musée en évitant consciencieusement les œuvres présentées pour ne se concentrer que sur les modalités de leur présentation, il se fait aussi l’écho d’une réalité plus lourde. L’amateur d’art venu admirer la collection est bien celui qui devient, malgré lui, acteur d’un tournage qui se joue ailleurs, au PC de sécurité qui retransmet les images de caméras de vidéo-surveillance. Plus loin donc que la seule dénonciation de la surveillance, Renaud Auguste-Dormeuil multiplie les problématiques et soulève la question fondamentale des modalités du vivre ensemble dans un système fait de représentations, de retransmissions, dans un système de contrôle « à distance ».
Une distance que lui-même exploite en avec la série Les Collectionneurs, qui tronque les portraits de collectionneurs posant auprès d’œuvres d’art. Avec un certain décalage, il s’attaque à la notion ambiguë du spectateur-acteur du monde de l’art en réduisant à la simple « présence » une personnalité bien réelle. Derrière la bonne idée, cette « absence-présence » déjoue les pièges de cette habitude très contemporaine où la représentation du spectateur participe essentiellement de la monstration de l’œuvre, où le témoignage d’un soi vaut tout autant que l’œuvre d’art.
La création de Renaud Auguste-Dormeuil est aussi bien une forme de mise en spectacle qui en altère le sens mais plus encore une œuvre éminemment politique, c’est-à-dire entée dans la « polis », observant et se basant sur la cité comme terrain de jeu d’actes (et de représentations d’actes) à déchiffrer. C’est ainsi le sens de ces paysages « négatifs », ses Blackout qui, par un procédé artisanal (coller, de nuit, sur une fenêtre donnant sur la ville, un bout de papier noir sur chaque point lumineux jusqu’à « boucher » toute pénétration de lumière), renverse le regard sur le monde, obstruant la lumière pour en trouver une seconde, plus diffuse. D’une certaine manière, dans la représentation de Renaud Auguste-Dormeuil, le signe s’efface pour laisser place à l’image, à ce que peut l’image. En ce sens, l’artiste dépasse la cartographie pour faire intervenir, dans la planéité de l’espace photographique, la profondeur de nouvelles perspectives.