TOI 700d — Galerie Les filles du calvaire
La galerie Les filles du calvaire nous ouvre les portes d’une exoplanète, TOI 700d découverte par la NASA en 2020. Avec l’organique pour fil conducteur, les formes s’inventent entre imaginaire et fantaisie, entre avenir possible et vérité ancestrale. Riche d’éléments propices à une forme de vie possible, TOI 700d nourrit déjà un imaginaire qui ne peut cependant plus faire l’économie d’une remise en cause des menaces qui pèsent sur notre planète.
« TOI 700d — Commissariat : Fabien Danesi », Galerie Les filles du calvaire du 5 juin au 24 juillet 2021. En savoir plus Derrière la promesse des possibles d’une Terre à réinventer, derrière la mise en tension d’une extériorisation de notre monde pour se rapprocher d’un autre dont la ressemblance fait précisément l’intérêt, les ouvres présentées à la galerie Les filles du calvaire participent d’un récit comme la tentation d’alternative, un monde comme une feuille blanche qui nous invite à redéfinir notre place en son sein. Toute figure humaine, toute évocation de notre corps bannies des représentations ici exposées, à l’exception d’un centaure déjà émancipé de notre réalité, celle-ci sera donc à conquérir.Auréolées d’une nappe sonore et d’images hypnotiques, les œuvres de l’exposition nous plongent d’abord au creux d’un espace inconnu, à distance de toute normalité. Mais plus encore que leur lieu, leur temporalité, étrangère et singulière, constitue la véritable marque de l’extraterritorialité. Marquée par le bruit d’un écoulement d’eau, elle garde pourtant une certaine forme de familiarité ; si le temps est manifestement à repenser, la vie devra bien ici aussi passer.
Entre végétation luxuriante et créatures organiques échouées sur des bancs de sable désolés, le visiteur est débarqué, pour ses premiers pas dans la galerie, au cœur d’un univers qui ne l’a pas attendu. L’inertie est palpable, même si la vie en tant que telle ne semble pas faire défaut. Au contraire des machinations fantaisistes capables d’appréhender tout nouveau monde comme un possible second, Fabien Danesi, commissaire de l’exposition, envisage le parcours comme l’expérience concrète d’une différence qui a tout autant à nous dire sur le nôtre. Les œuvres présentées s’associent alors dans un concert de différences qui font jouer des rouages qui résonnent de manière inattendue.
Grande réussite de l’exposition, le premier espace confronte les paysages silencieux de Noémie Goudal aux créatures de Yan Tomaszewski qui tissent par un jeu de teintes et de lignes un dialogue profond et entraînent, dans la différence absolue de leurs démarches respectives, vers un sens commun qui met à l’épreuve notre évolution. Les connaissances acquises, les technologies d’observation et les avancées désormais envisageables, quantifiables des outils de communication sont autant de pièges capables d’induire une projection qui a fait glisser le plan de de l’univers spatial du mythique à l’exotique, au sein duquel nous aurions tort de nous enfoncer. Penser la vie d’une exoplanète, c’est faire abstraction de l’homme, séparer celle-ci d’une nature que l’on ne connaît encore que trop mal pour repousser plus loin encore nos possibles et inventer des variations déprises de tout fantasme, sans pour autant s’interdire la fantaisie. Entre création de l’homme, organisme indépendant et génération spontanée ; les dichotomies se lèvent par la rencontre et l’entremêlement d’enjeux qui dépassent les paradoxes pour imposer leur présence commune et concomitante dans un même lieu. Le mutant voisine avec la flore ancestrale, la matière synthétique se confond avec les éléments qui lui donnent vie : les artistes invités déclinent, chacun à leur manière, l’évidence sensible de cette surréalité.
Une tension subtilement mise en jeu dans l’exposition, la possibilité de vie amenant un fil narratif qui nous lierait à toute terre étrangère. Minéral, végétal et animal deviennent alors les champs d’expérience pour des variations à inventer qui laissent entrevoir d’autres habitats, d’autres natures auprès desquelles inspirer notre aspiration. L’eau, de la même manière qu’elle transporte la lumière, réfléchit le son et charrie dans son essence l’oxygène, se donne ici comme lien continu entre nos mondes possibles, élément fondamental nourrissant, au final, l’imaginaire. Elle apparait ainsi dans ce rôle de liant au cœur de la très belle vidéo de Ben Rivers, Look Then Below qui, pour « réaliste » qu’elle est, laisse divaguer l’esprit dans une dimension exogène rapidement rejointe par les variations organiques surréalistes des peintures de Botond Keresztesi et des sculptures de Roy Köhnke.
Deux moments pour un parcours qui fait sursauter sa cohérence esthétique et impose sa propre logique d’une extension du domaine de nos conceptions extraterrestres, préférant à la discipline science-fictionnelle positiviste une liberté de conception laissant sa place à l’accident, au chaos inattendu des rencontres et de l’inconnu. TOI 700 d se découvre ainsi comme une planète de silence où le son, le bruit appartiennent à l’étrange, où l’atmosphère décuple toute manifestation d’une singularité. Une planète imprévisible où le mot ne se « dit » pas et, partant, où la chaîne causale du récit n’existe pas à la mesure de ce que l’on peut attendre d’elle.
En s’attaquant à l’outre-monde, le parcours parvient surtout à mettre en lumière la seule définition acceptable d’une notion telle que « post-vérité », une vérité à venir défaite des pièges qui hantent la nôtre. Si TOI 700d est la possibilité des mondes, elle est surtout l’impossibilité d’une Terre-île, d’une croyance en notre planète « exceptionnelle », séparée de ses congénères par l’amalgame physique et la contingence absolue. Plus qu’un horizon, elle est le miroir qui dresse une perspective sur ce qui nous précède, ce qui nous a toujours accompagné, une expérience de pensée convaincante pour envisager à nouveau frais notre communauté humaine ; nous ne pouvons pas être seuls.